IV. L'accès au document
1. Modalités d'accès au document
2. Intégration du prêt entre bibliothèques
3. L'accès aux articles de périodiques
4. La question des droits d'auteur
L'intégration de l'OPAC d'une bibliothèque à l'ensemble des ressources disponibles sur Internet contraint, au-delà des modalités de sa présentation et de son organisation, à repenser l'accès au document, et plus particulièrement pour l'usager distant.
En effet, à partir du moment où un ensemble bibliographique de plus en plus exhaustif se trouve à la portée de l'usager, et ceci quel que soit l'endroit d'où il effectue sa recherche, il devient nécessaire de se préoccuper des différents moyens susceptibles de lui fournir les documents qu'il aura découverts. Deux cas sont à envisager :
- Le document est stocké par une bibliothèque sous forme papier. Il s’agit en conséquence d’intégrer le prêt entre bibliothèques au niveau de la consultation du catalogue.
- Le document est sous forme numérique. Soit il est librement disponible sur le réseau, auquel cas l'accès à celui-ci peut être intégré directement au niveau de l'enregistrement bibliographique par un lien hypertexte, soit il est la propriété de la bibliothèque, qui en aura acquis les droits de diffusion, et peut être obtenu selon certaines modalités propres au prêt entre bibliothèques.
La bibliothèque de l'université Laval a ainsi entamé le traitement des périodiques électroniques pour lesquels elle a souscrit un abonnement, soit que celui-ci soit offert en plus de la version sur papier, soit qu'il soit contracté de manière exclusive sous cette forme. Lorsque la future version du catalogue accessible par une passerelle Web-Z39.50 permettra d'accéder au périodique par le biais du champ 856 de la notice le décrivant, il aura été au préalable nécessaire pour l'usager de s'être identifié auprès de la bibliothèque afin d'obtenir l'accès à ces ressources électroniques. La possibilité de limiter ces services aux utilisateurs appartenant à la communauté universitaire en gérant les numéros IP des machines correspondantes devrait toutefois permettre de simplifier la procédure.
Dans d'autres conditions, l'usager pourrait obtenir directement le document électronique ou une copie de celui-ci moyennant paiement. C'est ce que propose entre autres le service commercial de fourniture d'articles de périodiques UnCover[18] en offrant à partir de la consultation de sa base sur le Web un formulaire de commande permettant de recevoir par télécopieur les articles souhaités. Il est intéressant de noter que la base répertoriant les articles est d'accès totalement libre (pour combien de temps encore ?...) et procure un service d'identification appréciable. Il en est de même pour l'éditeur scientifique Elsevier Science[19]. Cependant, les bibliothèques répugnent à jeter l'usager dans la gueule du loup des fournisseurs privés dans la mesure où elles se vouent, grâce à une intercoopération active, à un service le moins coûteux possible.
Toutefois, pour les ressources électroniques propres à une bibliothèque, l'accès direct à partir de la notice se présente comme une solution très attrayante. La Bibliothèque Nationale du Québec, dans le cadre de l'élaboration de son catalogue multimédia, projette de numériser ses collections d'estampes, d'affiches, de cartes postales et cartes géographiques ainsi qu'une partie de ses livres d'artistes et de ses archives sonores afin de les rendre accessibles à partir de la notice correspondante par l'intermédiaire du champ 856. En attribuant au fichier stockant le document numérisé un nom correspondant au numéro de séquence de la notice, il devient possible de concevoir un programme capable de générer automatiquement le champ 856. Cependant, dans la mesure où un grand nombre des archives visuelles n'a pas été catalogué, il a été développé à titre d'expérimentation, une base séparée de cartes postales dont la description, effectuée brièvement lors de la numérisation, est intégrée au document[20]. Il est assez remarquable qu'il soit ainsi prévu de rendre un accès totalement libre à ces collections dans l'environnement Web. Si les problèmes liés au droit d'auteur n'ont pour l'heure pas été envisagés, il a été mentionné la possibilité de tatouer les images numérisées afin d'éviter leur impression sauvage.
[18]
http://www.carl.org/uncover.html
[19]http://www.elsevier.nl/
[20]http://www.biblinat.gouv.qc.ca/carpos/bwcarpos.htm
Dès lors, la question de l'intégration du prêt entre bibliothèques à la consultation du catalogue par le biais d'Internet apparaît cruciale. Des projets sont à l'étude concernant le développement de standards facilitant les demandes de prêt à partir des enregistrements obtenus au cours d'une recherche sur un OPAC en réseau. Quels en sont les enjeux ?
L'implantation de nouvelles technologies de communication ferait bénéficier les bibliothécaires de coûts de travail réduits, de la possibilité de réévaluer les priorités en matière d'acquisition, d'avoir un usage plus efficace des collections existantes et de réduire les coûts de traitement des documents. Le temps passé notamment à la localisation des documents demandés serait réduit à néant. Les usagers se voient en parallèle proposer un accès plus large aux documents pertinents grâce aux recherches dans plusieurs catalogues et des délais de fourniture plus courts.
Il peut être intéressant de noter que la commande d'ouvrages effectuée par un usager à partir de la consultation du catalogue peut être gérée à l'arrivée comme un prêt entre bibliothèques ou un achat. La bibliothèque de l'université du Québec à Montréal souhaite ainsi intégrer à son futur système d'information SV3 des mécanismes permettant l'évaluation automatisée des consultations d'un document par prêt entre bibliothèques traditionnel ou électronique afin d'être en mesure de déterminer le type de traitement qu'il s'agit d'accorder à une demande.
Si le protocole Z39.50 permet de récupérer des enregistrements bibliographiques issus de catalogues distincts, il peut tout aussi bien autoriser la fourniture d'une partie ou de l'ensemble du document électronique lié à la notice concernée. S'il est vrai qu'actuellement les catalogues de bibliothèques restent dans l'ensemble des systèmes exclusivement bibliographiques, il est fort vraisemblable que le développement de Z39.50 dans la recherche des documents et leur localisation suscitera de nouveaux besoins.
Si l'on s'appuie sur l'exemple des bibliothèques nord-américaines qui, pour une grande part ont adopté le protocole ILL (Interlibrary Loan Protocol) gérant les transactions de prêt entre bibliothèques, deux standards concurrents apparaissent couvrir un même domaine. Il pourrait en conséquence s'avérer judicieux d'étudier une exploitation complémentaire de leurs possibilités respectives.
L'intégration de la commande du document aux modalités de recherche nécessaires à sa localisation peut alors s'envisager de deux manières :
- la génération de demandes ILL à partir des informations obtenues avec Z39.50.
- la récupération directe du document électronique lorsqu'il existe.
L'une des difficultés à combiner les protocoles est que la plupart des développeurs nord-américains ont créé des applications non complètement conformes au modèle OSI (sur lequel est basé le protocole ILL) mais ont implémenté Z39.50 directement sur une couche TCP.
Le groupe des implémenteurs Z39.50 (ZIG)[21] s'est accordé sur l'usage de Services Elargis (Extended Services) dont le temps de vie dépasse ou n'est pas lié à la session Z39.50 pendant laquelle le service est demandé. Un service élargi de commande d'article (Item Order) a ainsi été spécifié dans la troisième version du standard Z39.50 (1995). Celui-ci permet consécutivement :
- à un système origine d'exécuter une demande de commande à la cible.
- de rechercher la base de services élargis afin de découvrir de l'information sur la situation de la commande. La demande peut identifier l'article soit d'après la position de l'enregistrement dans l'ensemble des résultats obtenus, soit en fournissant un message de demande ILL complet.
D'autres informations relatives à la commande sont également fournies, concernant notamment la facturation. Ce service pourrait être utilisé afin de permettre aux usagers de fournir leur demande de documents à la bibliothèque directement à partir de la consultation du catalogue. Il est à noter que les implémenteurs Z39.50 fournissaient déjà dans leurs services de demande propriétaires des facilités de commande d'article identifié et de fourniture de l'information avec paiement par carte de crédit.
L'intégration de la fourniture d'un document au niveau de la consultation du catalogue pourra donc à terme s'effectuer selon plusieurs modalités, par l'intermédiaire du service Item Order de Z39.50 :
- A partir de la station de travail de l'usager, d'où il pourrait envoyer une requête directement à la bibliothèque. Celle-ci la traiterait, soit en ayant recours aux services traditionnels de prêt entre bibliothèques (par le protocole ILL, par exemple), soit en renvoyant une requête Item Order à un fournisseur commercial.
- A partir de la bibliothèque en envoyant une requête, soit à un fournisseur privé, soit à une autre bibliothèque supportant le même service afin d'obtenir directement la fourniture du document électronique. Cette solution apparaît pour l'heure la plus vraisemblable dans la mesure où la norme Z39.50, encore très faiblement implantée, sera dans un premier temps principalement implémentée au niveau des services de professionnels de la documentation.
Cependant, il devient envisageable pour une bibliothèque offrant son catalogue en consultation sur le Web de développer un formulaire de demande de prêt d'ouvrage dans le même environnement que celui où s'effectue la recherche. Mais il n'est utilisable que dans deux cas limités :
- L'usager est inscrit à la bibliothèque dont il consulte le catalogue et souhaite un prêt ou une fourniture de photocopies à son domicile. Le principal inconvénient est qu'il est encore nécessaire de retranscrire les informations d'une notice dans un cadre préétabli. L'idéal serait de pouvoir joindre à la demande la notice intégrale consultée, en l'intégrant par exemple au courrier électronique.
- L'usager n'a pas trouvé le document qu'il souhaitait dans le catalogue et fait une demande à partir d'informations bibliographiques récoltées dans un autre catalogue. C'est à ce niveau que la possibilité offerte par Z39.50 d'effectuer une recherche simultanée sur plusieurs bases hétérogènes se révèle beaucoup plus riche en services ajoutés.
Les services destinés à faciliter les demandes de prêt d'ouvrage à partir de l'environnement Web n'en sont donc qu'à leurs balbutiements et restent largement perfectibles. Les possibilités que semblent pouvoir offrir le service Item Order du standard Z39.50 s'annoncent riches en améliorations concernant la fourniture de documents électroniques et la communication entre l'usager et la bibliothèque.
Cependant, l'intégration de ces nouvelles facilités de communication concerne principalement les transactions effectuées entre bibliothèques. Il n'est pas envisagé qu'un utilisateur, où qu'il se trouve, puisse commander, à partir de la consultation d'un ou de catalogues, un document à une bibliothèque, quelle qu'elle soit. En effet, un usager reste attaché aux services d'une bibliothèque particulière à partir de laquelle il a le loisir d'accéder aux ressources disponibles à l'extérieur de ce périmètre. C'est d'ailleurs l'un des traits déterminants qui continue de distinguer le recours à un fournisseur d'information commercial de l'appel aux services d'une bibliothèque.
La limite tend cependant parfois à s'estomper. Le projet Jukebox (Clark, 1995) se donnait initialement pour objectif d'offrir la consultation, à partir d'une bibliothèque européenne, des enregistrements conservés aux archives sonores des différents pays concernés (en l'occurrence le Danemark, le Royaume-Uni et l'Italie). La législation du droit d'auteur n'autorisant pas le déchargement d'enregistrements musicaux, l'usager obtient une transmission instantanée de l’extrait à partir des serveurs d'archives. L'accès aux documents sonores ne peut toutefois s'effectuer qu'au niveau local. Le projet s'est trouvé étendu au Web par l'intermédiaire de PARAGON qui prolonge les possibilités d'accès distribué à différents catalogues en y intégrant un formulaire de commande des enregistrements retenus et marqués au cours de la recherche.
Toutefois, il est facilement imaginable que l'accès aisé au fonds d'un nombre croissant de bibliothèques par l'intermédiaire de leur catalogue en réseau ne soit pas sans répercussions sur la politique d'acquisition des bibliothèques.
L'intégration facilitée de l'obtention du document, notamment sous forme électronique, à la recherche bibliographique ne manque pas en effet de confronter la bibliothèque à un dilemme récurrent : acquérir ou accéder (Line, 1996). La tentation est grande en effet de profiter des nouvelles facilités de communication pour alléger le poids des acquisitions dans certains domaines. Les avantages (réduction des frais de traitement et de maintenance, élimination des fonds morts, accent sur l'actualité et l'élaboration d'un service "à la carte") et les inconvénients (suppression de la découverte par "butinage", dépendance vis-à-vis des établissements, publics ou privés, détenant la documentation clef, disparition à terme d'une partie des parutions) ont été soigneusement évalués.
Il est important de souligner que les actions menées en ce sens ont principalement touché les périodiques. Or il se trouve que les catalogues de bibliothèques ne comprennent pratiquement jamais le dépouillement d'articles, ce qui minimise pour une grande part leur impact sur l'accès à ce type de document.
Il est assez paradoxal d'observer que les procédures les plus perfectionnées développées dans le but de faciliter la fourniture d'ouvrages à partir du catalogue ne sont pas aptes à véritablement satisfaire l'usager dans la mesure où les documents les plus demandés, en ce qui concerne les universités scientifiques tout au moins, et les plus susceptibles de s'inscrire dans un circuit totalement électronique ne sont pas répertoriés dans les catalogues !
- L'on pourrait concevoir l'extraction de notices d'articles concernant les périodiques possédés à partir de bases de données en ligne ou sur CD-Roms afin de les intégrer à la base bibliographique. Il serait alors nécessaire de prévoir des capacités de stockage importantes.
Le projet RIDDLE (Rapid Information Display and Dissemination in a Library Environment) a pour sa part démontré qu'il était envisageable d'extraire les informations bibliographiques contenues dans les tables des matières des périodiques scientifiques et de les inclure automatiquement dans le catalogue d'une bibliothèque donnée (Harrison, 1995). Pour ce faire, les pages sont scannérisées en mode texte grâce à un logiciel de reconnaissance optique de caractères (OCR), les informations bibliographiques extraites balisées au moyen de SGML puis chargées dans le catalogue après traduction des données encodées SGML vers le format utilisé localement.
- Il est intéressant de noter que les éditeurs qui proposent des périodiques sous forme électronique à partir du Web fournissent généralement un outil de recherche en texte intégral sur l'ensemble ou l'un des périodiques auxquels la bibliothèque a souscrit un abonnement. Dans le cas d'éditeurs offrant un nombre de publications relativement important dans un domaine spécialisé, tel The Institute of Physics[22] par exemple, ce peut être un moyen de suppléer à l'absence de dépouillement des articles dans le catalogue d'une bibliothèque.
- Dans la mesure où la bibliothèque propose l'accès à certaines bases de données dans le même environnement que son catalogue, elle pourrait intégrer un formulaire de demande de prêt qui soit utilisable pour l'ensemble des ressources consultées.
La bibliothèque de l'université Laval, par exemple, est en train de développer ce type de formulaire à partir de l'interface conçue pour la recherche dans les Current Contents sur le Web.
- La mise à disposition à partir d'un point d'accès unique d'une base bibliographique, d'un catalogue et d'une base d'articles de périodiques en texte intégral interopérant au moyen de liens hypertextes fournit une solution intéressante au problème de l'intégration harmonieuse des différents services offerts par une bibliothèque. C'est dans cette voie que s'oriente par exemple la bibliothèque de l'université de Californie à San Francisco.
L'accès direct à partir de la notice descriptive au document électronique, quelle que soit sa nature, nous contraint cependant à repenser les modalités d'application du droit d'auteur. Il a pu certes être souligné de façon un peu cynique que le développement d'Internet et de la mise en réseau de documents sous forme électronique favorisera à terme un contrôle à la source beaucoup plus souple, propice à une tarification à la carte de leurs usages finaux.
Tout établissement reliant une ressource en ligne à un enregistrement de son catalogue n'en devra pas moins s'interroger sur les droits qui régissent un tel accès. Si rares sont les bibliothèques qui ont développé une réflexion structurée à ce sujet, soient qu'elles choisissent de numériser des collections libres de droits, soit qu'elles donnent accès aux ressources dont elles ont la propriété exclusive, certains fournisseurs américains comptabilisent déjà la contribution aux droits d'auteur dans la tarification de leurs services. Il pourrait cependant à terme s'avérer judicieux d'en effectuer la gestion non pas au niveau de chaque serveur mais plutôt par l'intermédiaire d'un organisme national, voire international. Dans cette optique, la bibliothèque de l'université du Québec à Montréal prévoit d'intégrer à son futur système d'information SV3 la souplesse nécessaire à l'exploitation des informations susceptibles de faciliter la gestion des droits d'auteur. Il s'agit de pouvoir conserver au niveau du système toutes les traces permettant de calculer ce qu'il en coûte, à savoir notamment le nombre de connexions, leur durée et les actions opérées.
En ce qui concerne la simple lecture d'un document sur écran (l'usage "loyal"), il semble délicat de l'accompagner d'un coût dans la mesure où dans le monde du papier, l'autorisation du titulaire du droit d'auteur n'a jamais été nécessaire pour feuilleter. En effet, "dans le monde numérique, le format de l'oeuvre est différent, mais la bibliothèque fournit le même service : celui de mettre l'oeuvre à la disposition des usagers. L'exemption relative à l'usage loyal est fondée sur une politique qui vise à favoriser l'accès facile et peu coûteux aux oeuvres de l'esprit" (Ginsburg, 1996).
Il n'est donc pas inutile de souligner que le contrôle des usages de l'information mise à disposition par les réseaux ne devrait pas entraîner les bibliothèques dans une course à la commercialisation de leurs services qui pourrait entraver leur mission de démocratisation de l'accès à la culture. Il convient plutôt d'adapter la tarification des services offerts aux usages et publics auxquels ils sont susceptibles de s'adresser.
[21] Le ZIG (Z39.50 Implementor Group) est responsable du développement technique du standard Z39.50.
[22]http://www.iop.org