GRANDEUR ET DECADENCE D'ARPANET
La saga de Netville, cité-champignon du cyberespace
John Leslie King, Rebecca E-Grinter, Jeanne M. Pickering
Les auteurs relatent dans cet article l'histoire de Netville, la communauté de développeurs fondatrice de l'Internet et du cyberespace. Ils présentent tout d'abord un historique de la création de Netville et l'alliance institutionnelle ARPA/Université qui lui permit de voir le jour et sous la protection de laquelle elle développa trois valeurs fondamentales : la curiosité intellectuelle, des systèmes informels de récompense de mérite, des présupposés égalitaires. Ces valeurs et les principes qui en découlaient lui permirent d'engendrer dans sa période d'essor des réussites techniques aussi bien que sociales remarquables : un réseau commuté robuste de transmission de paquets (l'ARPANET devenu l'Internet), le courrier électronique (avec son infrastructure technique sous-jacente TCP/IP et DNS), et le World Wide Web.
Mais dans les années 90, attirés par le formidable potentiel de l'Internet et du cyberespace et à la faveur du désengagement des promoteur originels, de nouveaux acteurs institutionnels (commerciaux et réglementaires) avec des intérêts différents ont investi la zone de la Grande Cordillère qui abritait Netville. Netville se transformera-t-elle pour autant en un temple de l'industrie du vice et des loisirs à la Las Vegas ou partagera-t-elle le destin des villes champignons associées aux grands chantiers de construction en devenant une ville fantôme ? Elle aura très certainement un avenir plus nuancé.
GRANDEUR AND
DECADENCE OF ARPANET
Saga of Netville, the cyberspace boom town
John Leslie King, Rebecca E.-Grinter, Jeanne M. Pickering
This articles traces the history of Netville, the founding community of developpers of the Internet and cyberspace. It discusses the ARPA/University alliance which spawned Netville and its three fundamental values : intellectual curiosity ; informal reward systems ; and egalitarian premises. These values and related principles were the basis of remarkable social and technological achievements during its early growth years : a robust packet switching network (ARPANET, which became Internet), electronic mail (with its underlying technical infrastructure, TCP/IP and DNS) and the World Wide Web.
However, during the nineties, attracted by the extraordinary potential of the Internet and cyberspace and owing to the withdrawal of the original sponsors, new institutional (commercial and regulatory) players, with different interests, occupied the domain. Is the outcome likely to be a Netville à la Las Vegas, a temple for the vice and entertainment industries ? Or will it have the same fate as boom towns linked to major construction projects, and end up a ghost town ? Its future probably lies somewhere between these two extremes.
TECHNOLOGIE ET PORNOGRAPHIE DANS L'ESPACE CYBERNETIQUE
Les difficiles rapports de la technologie, de la pornographie et de la démocratie trouvent avec Internet une nouvelle occasion de se manifester dans leur constante ambiguité.
Depuis le XVe siècle, censure et auto-censure s'appliquent à contrôler ce qui circule dans les réseaux. L'étude de ce qui s'est joué à propos d'Internet ces dernières années aux USA, du « new-age » au monde « panic », n'épuise pas le débat ouvert entre instances de contrôle et instances de censure, ni la tension entre accomplissement de soi et voyeurisme.
TECHNOLOGY AND PORNOGRAPHY IN CYBERSPACE
With the Internet the strained relationship between technology, pornography and democracy has emerged once again in all its ambiguity. Since the fifteenth century, censorship and self-censorship have been used to control the flow of material in networks. The study of the Internet case in the USA over the past few years, from « new age » to « panic », has not exhausted debate between regulatory bodies and censorship boards, nor the tension between self-fulfilment and voyeurism.
D'UN PUBLIC
L'AUTRE
Les usages d'Internet dans un centre de recherche
Cet article est tiré d'une enquête pratiquée dans un centre de recherche technique auprès d'utilisateurs chevronnés et débutants d'Internet. Les premiers présentent un profil professionnel très homogène puisqu'ils sont dans leur écrasante majorité des ingénieurs-informaticiens capables d'utiliser les ressources d'Internet (e-Mail, forums de news, captation de logiciels, Web) pour leurs usages professionnels très ciblés. Les seconds, qui représentent des professions plus variées s'interrogent encore sur l'usage qu'ils peuvent avoir du réseau. Les anciens utilisateurs ont conscience de former une communauté électronique dont les membres se reconnaissent non seulement à la compétence technique acquise pour utiliser le réseau mais également à un ensemble de pratiques sociales dont la net-étiquette n'est que l'un des éléments les plus connus. Devant l'ouverture d'Internet à d'autres publics et à d'autres pratiques, ils craignent manifestement une dénaturation de l'« esprit d'Internet ». Ces utilisateurs chevronnés témoignent d'un certain prosélytisme et concourent à la propagation du discours utopique actuel concernant Internet.
FROM ONE
TYPE OF PUBLIC TO ANOTHER
Use of the Internet in a Research Centre
This article draws upon a survey among experienced and new users of the Internet in a technological research centre. The majority of seasoned users are computer engineers capable of using the resources of the Internet (e-Mail, news forums, downloading software, the Web) for very specific professional purposes. New users, on the other hand, have a more varied profile and in the main are still unsure about what use to make of the Net. The former are conscious of forming an electronic community characterized by members'technical skills in using the network, as well as by a set of social practices of which the net-label is merely one of the better-known features. With the opening up of the Internet to other publics and practices, they clearly fear a denaturation of the « Internet spirit ». These seasoned users attest to a certain proselytism and contribute to the propagation of current utopic rhetoric concerning the Internet.
Aborder le phénomène Internet dans le milieu scientifique nécessite de prendre en compte deux niveaux de compréhension : d'une part le niveau global de construction sociale d'un objet, d'autre part un niveau local d'observation des pratiques quotidiennes, qui sont des lieux d'expression, de création, voire de subversion. En nous appuyant sur divers témoignages, nous abordons dans un premier temps l'usage d'Internet qui émerge peu à peu dans la communauté des astronomes. Nous poursuivons en intégrant à notre étude d'autres domaines scientifiques pour lesquels l'appropriation de l'outil est plus problématique. Nous considérons l'objet technique comme un « objet frontière » puis comme un « texte collectif », les usagers étant alors lecteurs et parfois écrivains.
L'Internet existe par l'activité de quantités de bénévoles passionnés par ce qu'ils font. Nous apparaît alors toute une dimension profonde de l'usage de la technique, à savoir la dimension du plaisir, qui engage l'individu bien au-delà de ce que des descriptions purement fonctionnelles envisagent. Cette approche nous permet ainsi de rendre compte des pratiques détournées, des explorations buissonnières qui sortent des cadres d'usages véhiculés par les discours généralisants.
ART OF READING
THE NETWORK
A Case of Technological Innovation and its Daily Use in Science
The Internet phenomenon in the scientific environment needs to be considered on two levels : the global level of social construction of an object, and a local level of observation of daily practices which are the locus of expression, creation and even subversion. Drawing on several testimonies, the authors first consider the emerging use of the Internet in the astronomical community. They then spread their investigation to other scientific fields in which appropriation of the tool is more problematical. The technical object is considered as a « boundary object », then as a « collective text », since users are readers and sometimes writers.
The Internet exists owing to the activity of countless enthusiastic volunteers. We thus discover another dimension underlying use of the technology : that of pleasure which engages the individual well beyond the purely functional domain. This approach enables one to explain the deviations and explorations which exceed the bounds of common frames of usage.
Cet article examine de façon analytique et théorique les trois (f) acteurs responsables de la diffusion de l'information par la télévision : le communicateur, le message télévisuel et le téléspectateur. Le chercheur est ensuite considéré comme un quatrième acteur qui contribue à l'amélioration de la « qualité » de la production et de la réception du message télévisuel. On analyse le rôle de ces quatre facteurs par rapport à la « qualité » de la diffusion d'information.
La recherche en réception s'inscrit dans un processus de communication de plus en plus complexe où le chercheur devrait être reconnu pour sa contribution à la qualité du message télévisuel. Sa tâche est (1) à travers une analyse approfondie et objective d'identifier l'appréciation des téléspectateurs ; (2) de transmettre cette information au communicateur de façon claire et efficace pour (3) permettre la production de programmes mieux adaptés aux téléspectateurs sans pour autant compromettre ni la créativité du communicateur ni la qualité des programmes.
A theoretical and analytical approach is taken in this study to assess the three (f) actors responsible for information transfer via TV : the communicator, the TV message and the audience. The researcher is then incorporated as a fourth actor in the communication process with regard to improving the « quality » of both TV message production and reception. The article examines the role played by the four factors identified with respect to the « quality » of information transfer.
Conducting reception analysis or, in other words, assessing viewer reactions to a given TV message is part of an increasingly complex communication process within which the researcher should be considered as a contributor to the quality of the TV message. His or her task is (1) to find out what viewers think of the programme through a thorough and objective analysis, and (2) to transmit this information clearly and efficiently to the communicator so that (3) programmes better suited to the audience can be produced without compromising the communicator's creativity and quality standards.
ANTENNE ET HORS ANTENNE A FRANCE CULTURE
Que se passe-t-il en radio au moment de l'ouverture de l'antenne pour les personnes présentes en studio ? A partir d'observations menées à France Culture, nous avons étudié les modalités du passage hors-antenne/antenne. La tâche du producteur de radio est double : il lui faut introduire le tiers-auditeur auprès des intervenants en studio ; il doit aussi lui construire une place dans la conversation. A travers différents dispositifs (les présentations, les dispositions spatiales, les attitudes corporelles) il met en œuvre une implicitation de l'auditeur. L'analyse montre quelle forme contemporaine de publicité prend l'échange à l'antenne, et quel cadre de référence il mobilise. Il s'agit pour les professionnels de radio d'atteindre à un engagement « vivant » de la part des locuteurs, en recourant pour cela à différentes ressources. Ce faisant, c'est une définition de l'émission culturelle à France Culture qu'ils proposent.
ON AND OFF THE AIR AT FRANCE CULTURE
What happens for the people present in the radio studio the moment they go on the air ? Drawing on observations at France Culture, the author studied modalities of switching on and off the air. The producer's task is twofold : he or she must introduce the third-person listener into the group of participants in the studio, and construct a place for that listener in the conversation. Various methods (e.g. presentations, spatial arrangements) are used to involve the listener. The study shows the contemporary form of publicity that interaction on the air assumes, and the frame of reference that it mobilizes. For radio professionals it is a question of employing various means to achieve the « live » involvement of speakers. In so doing, they provide a definition of the cultural programme at France Culture.