CULTURAL STUDIES' STORIES
La domestication d'une pensée sauvage ?
Armand Mattelart et Erik Neveu
Les auteurs retracent la généalogie de ce courant d'études né dans les années 60 avec la création du Centre de Birmingham (CCCS). La culture y est problématisée comme le site central d'une tension entre des mécanismes de domination et de résistance. L'analyse de l'idéologie mobilise alors une recherche fortement engagée socialement. La tension entre l'approche culturel et celle de l'économie politique de la communication émerge dès la fin des années 70 et a pour enjeu la construction d'un « matérialisme culturel ». Avec les « New Times » politiques marqués par le Thatchérisme et l'institutionalisation du champ d'étude, les axes de recherche se déplacent dans les années 80 vers le modalités de la réception des médias tandis que s'étend la sphère de légitimité internationale des Cultural Studies. Dans les années 90 l'ambiguïté s'installe et les dérives vers les méta-discours témoignent de l'épuisement d'un paradigme trop unilatéral. Se font sentir l'urgence d'une interrogation épistémologique sur la place qu'occupent les cultural studies sur la carte des sciences sociales et la nécessité de nouvelles alliances transdisciplinaires.
CULTURAL STUDIES' STORIES
Domestication of the Savage Mind ?
Armand Mattelart and Erik Neveu
The authors recount the genealogy of this current of research which originated in the sixties with the creation of the Birmingham Centre (CCCS) and focused on culture as the main site of tension between mechanisms of domination and resistance. At the time the study of ideology mobilized research which was intensely engaged socially. The tension between the cultural approach and that of the political economy of communication emerged at the end of the seventies around the issue of the construction of « cultural materialism ». In the eighties, with the political « New Times » marked by Thatcherism and the institutionalization of the research field, the thrust moved towards audience studies, while the scope of the international legitimacy of Cultural Studies spread. In the nineties ambiguity set in and the shift towards meta-discourse attested to the exhaustion of a paradigm that was too one-sided. The urgency of an epistemological investigation of the role of Cultural Studies in the social sciences and the need for new cross-disciplinary alliances is now being felt.
LA COMMUNAUTÉ OUVRIÈRE ET LE CONFLIT SUBCULTUREL
L'East End en proie à la rénovation
Les années cinquante ont été marquées en Grande-Bretagne, et en particulier dans l'East End londonien, par d'importants changements affectant la sociabilité populaire. La rénovation urbaine, la construction de « grands ensembles », la redéfinition des profils de compétence requis de la main d'œuvre ouvrière vont se conjuguer pour disloquer les réseaux d'interconnaissance, de solidarités familiales ou de quartier qui structuraient l'univers quotidien des classes populaires et permettaient l'émergence de porte-paroles.
L'apparition des « sous-cultures » dans la jeunesse populaire doit s'interpréter dans ce cadre. Le conflit de génération et l'invention d'un style de vie permettent à la fois de déplacer au delà des relations intra-familiales un ensemble de tensions, et de résoudre sur un mode imaginaire les contradictions auxquelles sont confrontés les parents de milieu ouvrier. A travers leurs panoplies symboliques (vêtements, musique, argot, rituels) les lignées de sous-cultures allant des rockers aux skinheads s'éclairent dans leur relation à une vision du futur social, leur articulation à un registre délinquant de prise de parole.
SUBCULTURAL CONFLICT AND WORKING-CLASS COMMUNITY
The East End a victim of its renovation
In Britain and particularly in London's East End, the fifties were marked by significant changes which affected working-class society. Urban renovation, the construction of large housing estates and the redefinition of skills required from the labour force, combined to break up the networks of acquaintances and family or neighbourhood solidarity which had structured the daily lives of the working classes and allowed the emergence of spokespersons.
The appearance of sub-cultures in the working class youth has to be interpreted in this context. Conflict between the generations and the invention of a lifestyle made it possible both to transfer tensions beyond intra-family relationships, and to solve in an imaginary mode the contradictions facing working class parents. Through their symbolic rites and objects (clothes, music, slang, rituals) the various sub-cultures, from ducktails to skinheads, have defined themselves in their relation to a vision of future society, and in their articulation with delinquency as a public voice.
Le début des années soixante va permettre d'observer une modalité nouvelle des sous cultures propres aux jeunesses populaires : les « mods ». Ils se singularisent par une élégance vestimentaire spécifique, à la fois « propre » et provocatrice, jouant d'une forme d'inversion parodique des conventions sociales. Le style mod emprunte aussi aux mythologies de la délinquance, au style des communautés noires, au recours aux amphétamines ; à une culture de la fête et de l'instantanéité.
Recrutant largement parmi des jeunes issus des classes populaires qui occupent des emplois subalternes dans les bureaux et services, le mouvement mod peut se lire comme une dénégation ritualisée dans le hors-travail de la domination sociale vécue dans le temps de travail. Il développera, dans l'apparence d'une adhésion enthousiaste aux cérémonies de la consommation, une des tentatives les plus intéressantes de contestation de celle-ci, à travers un détournement souvent inventif des marchandises. Le mouvement succombera finalement au double processus de vieillissement social de sa génération fondatrice et de récupération commerciale par le marché « pop ».
The early sixties witnessed a new sub-culture among the working class youth: the « mods ». They were characterized by a distinctive elegance in their way of dressing which was both « clean » and provocative, toying with a form of parodic inversion of social conventions. The mod style also borrowed from delinquent mythologies, from the style of the black communities, the use of amphetamines, and a culture of fun and instantaneity.
The movement, of which the followers were primarily from the working classes employed in subordinate positions in the tertiary sector, can be seen as a ritualized denial, outside the work environment, of the social domination experienced at work. It was to develop, under cover of apparent enthusiasm for the ceremonies of consumption, one of the most interesting attempts to contest consumption, through an often inventive distortion of the use of goods. The movement finally fell prey to the twofold process of social aging of its founding generation, and commercial harnessing by the « pop » market.
LE GRAND MAGASIN COMME FORME CULTURELLE
Les principaux traits de l'actuel commerce de détail sont issus d'innovations survenues pendant la seconde moitié du dix-neuvième siècle, avec la création des grands magasins.
L'article examine les liens de cette invention avec l'émergence de nouveaux rapports socio-économiques, de nouvelles configurations urbaines et de nouvelles pratiques culturelles, qui marquèrent les débuts de la société de consommation, et dans lesquelles les femmes jouèrent un rôle important comme clientes, puis comme employées des nouveaux magasins.
Outre divers aspects communs à la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis tels que la bureaucratisation des rapports entre vendeur et acheteur, l'importance et la mise en étalage et du faste des bâtiments, la « démocratisation » associée à des prix plus bas et à la liberté d'accès, la constitution d'une nouvelle classe d'employées issues de la petite-bourgeoisie et le bouleversement des mœurs illustré par des phénomènes comme la « kleptomanie » , certaines spécificités britanniques, notamment dans la gestion du rapport des magasins à leur clientèle et aux différentes formes de publicité, sont plus particulièrement soulignées.
THE DEPARTMENT STORE AS A CULTURAL FORM
The main features of current retail trade stem from innovations in the second half of the nineteenth century, with the creation of department stores.
The present article examines the link between this invention and the emergence of new socio-economic relations which marked the beginnings of the consumer society and in which women were to play a significant part, first as customers and then also as employees of the new stores.
Several aspects were common to the UK, France and the USA, such as the bureaucratization of buyer-seller relations, the significance of display and the splendour of the buildings, the « democratization » related to reduced prices and free entry, the creation of a new type of employee from the middle-classes, and the behavioural changes manifested in phenomena such as « kleptomania ». However, a number of British peculiarities, particularly in the way the department stores managed their client relations and different forms of advertising, are highlighted here.
DES COMMUNICATIONS COMME SCIENCE DE LA CULTURE
En présentant la communication avant tout comme une pratique,
Williams plaide pour un dépassement des réticenses qui pèsent
encore sur l'étude de nombreuses pratiques
culturelles contemporaines. Il réagit contre une orientation de
la sociologie vers le concept de « communication de masse » et
propose une démarche de recherche qui associe plusieurs
disciplines, quitte à ce qu'elles confrontent leurs résultats.
Il s'agit pour l'auteur de lutter contre la juxtaposition
d'intérêts particuliers qui mènent au découragement
général, à l'inertie et au conformisme.
COMMUNICATIONS AS CULTURAL SCIENCE
By presenting communication above all as a practice, Williams argues against the reservations which still limit the study of numerous contemporary cultural practices. He denounces the orientation of sociology towards the concept of « mass communication » and proposes a research approach which associates several disciplines or at least compares their results. For the author it is a question of opposing the juxtaposition of vested interests which lead to general discouragement, inertia and conformity.
Au nombre des dérives ou « périls » menaçant les Cultural Studies, accusées de « populisme » ou de « révisionnisme », la tendance à privilégier le texte ou « textualisation » occupe une place singulière qui n'est pas sans évoquer le fameux « tournant linguistique » qui divise la communauté des historiens. John Fiske, promoteur d'une « démocratie sémiotique » apparaît comme le représentant le plus engagé (ou le plus provocateur) de cette tendance.
Among the diversions or « perils » threatening Cultural Studies and accused of « populism » or « revisionism », the tendency to favour text or « textualization » is of singular importance. It is reminiscent of the famous « linguistic turning point » dividing the community of historians. John Fiske, the promotor of a « semiotic democracy », appears as the most engaged (or provocative) representative of this tendency.
LE SILENCE RECONSTITUÉ
La vie dans un monde de plénitude du sens
Bien que le silence puisse signifier une absence totale de son, le terme est fréquemment utilisé en référence unique à un environnement socio-culturel. Cet article se focalise sur le silence comme absence de parole. La richesse et la multiplicité des silences proviennent du fait qu'un silence particulier peut consister en une absence par rapport à un sujet particulier de conversation. Ainsi, pour chaque type de parole, il existe un type de silence. Les silences sont rendus particulièrement significatifs, à travers ce que nous appelons ici « les mécanismes faiblement constitutifs », ce qui, par convention est ce qui crée un silence pertinent.
La méthode de l'analyse de conversation permet d'éclairer quelques aspects de la place et de la signification du silence dans la conversation. Finalement, nous introduirons le concept de « silence implicite ». Le silence implicite a pour origine un flot de parole dans lequel quelque chose est jugé pertinent mais n'est pas dit.
Il est démontré que certains types d'analyse sociologique s'effectuent en localisant des silences implicites.
RECONSTITUTED SILENCE
Life in a world of fullness of meaning
Although silence can be taken to mean a total absence of sound, the word is frequently used with reference to a socio-cultural environment. This article focuses on silence as the absence of talk. The richness and multiplicity of silences stems from the fact that a particular silence may consist of an absence in relation to a particular subject of conversation. Thus, for each type of talk, there exists a type of silence. Silences are made particularly meaningful through what we here call « weakly constituent machanisms » or, in other words, what by convention constitutes a relevant silence.
Conversation analysis enables us to highlight some aspects of the role and significance of silence in conversation. Finally, we introduce the concept of « implicit silence ». Implicit silence originates with a flow of talk in which something is considered important but is left unsaid. We show how certain types of sociological analysis pinpoint implicit silences.
RETOUR VERS LE FUTUR
Comment les technologies de communication pénètrent dans les
foyers américains
Comment prévoir les comportements futurs des consommateurs
afin de réduire l'incertitude des investisseurs en matière de
nouveaux médias ? L'examen du passé offre bien des leçons sur
le processus d'adoption des technologies de communication mais il
convient, pour appliquer ces enseignements à bon escient, de se
faire une idée claire du contexte socio-
économique, culturel et démographique dans lequel les nouvelles
technologies devront s'insérer, sans oublier les transformations
en cours dans l'univers des médias eux-mêmes.
Le prix joue toujours un rôle important pour la pénétration du marché grand public. D'où la nécessité fréquente de trouver un premier groupe de clients prêts à payer le prix fort, en sachant que les usages initiaux pourront éventuellement se modifier par la suite. Si l'existence d'un standard unique est souvent un élément facilitant, de nombreux facteurs imprévus et incontrolables peuvent aussi intervenir dans le succès immédiat ou tardif d'un produit ou service, ce qui complique les prédictions et réclame, de la part des introducteurs de nouveaux médias, de fréquents changements de stratégie et quantité d'efforts pour trouver ou créer des usages attrayants pour le marché.
RETURN TO THE FUTURE
How communication technologies enter American households
How can future consumer behaviour be predicted in order to reduce the uncertainty of investors in new media? By examining the past, a number of lessons can be learned on the process of adopting communication technologies. However, if these lessons are to be applied advisedly, we need to have a clear idea of the socio-economic, cultural and demographic context in which the new technologies are to be introduced, taking account of transformations underway within the media sphere itself.
Price is always relevant in the penetration of the mass market; hence the frequent necessity to find a first group of customers prepared to pay the top price, given that initial uses may subsequently change. While the existence of a single standard is often an element facilitating adoption, numerous unforeseeable and uncontrollable factors may also intervene in the immediate or late success of a product or service. This complicates forecasting and requires the promotors of new media to change their strategies frequently and to multiply their efforts at finding or creating attractive uses for the market.
LA TÉLÉVISION PAR CABLE EN FRANCE
Efficacité économique et concurrence
Cet article tente d'appliquer les principes de théorie économique au cas de la télévision par câble en France. A l'aide des méthodes d'analyse sectorielle de Michael Porter, il établit un bilan des forces concurrentielles qui exercent dans l'ensemble, en 1996, une pression peu importante sur le secteur des câblo-opérateurs. Cette analyse met à jour un important dérèglement des mécanismes concurrentiels : les câblo-opérateurs sont des monopoles locaux dont les prix ne sont pas réglementés, la concurrence des autres supports multicanaux est limitée alors que celle, forte, de la télévision hertzienne semble n'exercer aucune pression sur les prix des câble-opérateurs, les autorisations exclusives d'exploitation de réseaux câblés annullent toute menace d'entrée potentielle, le pouvoir de négociation des chaînes non intégrées verticalement est faible et les abonnés subissent les comportements monopolistiques des grands opérateurs. Une meilleure efficacité et un meilleur développement du marché du câble pourraient provenir théoriquement de l'introduction d'une concurrence frontale, d'une réglementation des prix des câblo-opérateurs et du développement d'une concurrence exercée par d'autres supports de distribution multicanaux.
CABLE TELEVISION IN FRANCE
Economic effectiveness and competition
This article applies the principles of economic theory to the case of cable television in France. Michael Porter's methods of sectoral analysis are used to take stock of the competitive forces which on the whole in 1996, exert little pressure on the cable sector. This analysis reveals a significant deregulation of competitive mechanisms : cable carriers are local monopolies whose prices are not subject to regulation, and competition from other multi-channel media is limited while that of radio television, although strong, does not seem to exert any pressure on the prices of cable operators. Exclusive concessions preclude any threat of a potential entry, the negotiating power of vertically unintegrated channels is weak and subscribers are prey to the monopolistic behaviour of the major operators. Enhanced efficiency and development of the cable market could, theoretically, originate with the introduction of head-on competition, price regulation for cable carriers and the development of competition from other multi-channel distribution media.
Traduction Liz LIBBRECHT