n° 76

 

 Notes de lecture précédentes

 

Représentation et idéologie. Les téléromans au service de la publicité

de Licia SOARES DE SOUZA
par Daniela FRUMUSANI

Fondé sur la sémiotique peircienne et sur ses relectures modernes (Gérard Deledalle inter alii), ainsi que sur la nouvelle rhétorique (de Perelman et Olbrechts-Tyteca), l'ouvrage Représentation et idéologie - Les téléromans au service de la publicité aborde dans une démarche de type abductif, toujours peircienne (va-et-vient entre la modélisation abstraite et la communication publicitaire et la fiction narrative concrètes) la conjonction fiction télévisuelle/message publicitaire du point de vue : de la double énonciation (fictionnelle défictionalisée par la publicité référentialisante aussi bien que non fictionnelle fictionalisé par l'insertion dans la série), des classes de signes actualisés, du jeu mimesis/diegesis, ainsi que de la rhétorique linguistique et iconique.

La démarche sociosémiotique traite des questions reliées « à la production, à la reproduction et à la réception des significations sociales et cela en raison du caractère communautaire des thèses de base de l'épistémologie peircienne (...) postulant que la vérité et la réalité ne peuvent être connues que si elles sont fondées discursivement comme possibilités de l'efficacité intersubjective de l'interprétation » (p. 253).

En partant du succès énorme des feuilletons télévisés de la Rede Globo brésilienne exportés vers plus de cinquante pays, en particulier de « Dancin'Days » (1978) avec la hausse spectaculaire des ventes de jeans, on analyse un nouveau genre télévisuel, l'hybride produit par une intrigue traditionaliste et un message publicitaire modernisant espace privilégié d'émergence et de transformation de l'idéologique.

Dans la syntagmatique du récit l'action narrative est suspendue au profit d'un acte purement publicitaire dont l'idéologie se fonde ou est syncrétisée par l'acteur fictif transformé en usager des produits offerts dans la « vitrine nationale » qu'est la télé au créneau horaire « noble » (18-20 heures).

Après un survol historique solidement documenté - chapitre 1 « Aperçu historique du téléroman brésilien » - et la description de la nouvelle structure communicationnelle du téléroman brésilien - chapitre 2 « Le contexte socio-historique de production et de réception des émissions téléromanesques » -, on procède à l'inventaire des modalités d'insertion du publicitaire dans le fictionnel : la publicité enchâssée (chapitre 3) ayant comme support le signe personnage et comme mécanisme procédural la focalisation verbale (cf. Genette, Mieke Bal) et l'ocularisation scénique (cf. François Jost) ; la publicité enchâssée implicite (chapitre 4), fondée sur l'argumentation visuelle (hyperbole de la marque de l'objet et association aux systèmes signifiants contextuels) et la publicité encadrée (chapitre 5), explicite qui n'a pas d'ancrage dans le programme narratif central pouvant disparaître lorsque les contrats des commanditaires cessent.

Le premier type de publicité, celle enchâssée, active les rapports texte/extratexte en fictionalisant les informations commerciales et en standardisant les investissements évaluatifs par l'intermédiaire du signe-personnage - « support d'actions orientées vers une fin déterminée en accord avec la conception du bonheur narratif qui vivifie l'intrigue et le bonheur publicitaire, qui s'y greffe » (p. 86).

A partir des trichotomies sémiotiques peirciennes on essaie de définir le personnage (armature du récit) comme légisigne, faisant partie d'un système narratif prédéterminé où l'essence précède l'existence, comme « icône » qui renvoie à l'objet qu'elle représente dès lors qu'elle entretient une relation directe avec le système de similarité réaliste vraisemblable bâti pour la personne fictive (p. 22). La définition aurait bénéficié d'un nuancement classificatoire si elle avait mis à profit les distinctions sémiologiques de Philippe Hamon (« Pour un statut sémiologique du personnage » in Littérature 6, 1972 et « Poétique du récit », 1977).

Par contre le concept d'ocularisation zéro et ocularisation interne (empruntés à François Jost), pendant visuel de la focalisation zéro/vs/interne de la narratologie classique verbale, sert à cerner de plus près la réalité sémiotique de la publicité qui joue sur la gradualité des instances regardantes et regardées.

L'examen de l'enchâssement dans l'horizon spatial commun des interlocuteurs et l'évaluation aussi commune de la situation se poursuit à l'intérieur de la théorie du dialogisme et de l'interaction formulée par Bakhtine/Volochinov (« Marxisme et philosophie du langage ») en tant que position prodiscursive radicalement antisaussurienne (« Le thème est un système de signes, dynamisquement complexe qui s'efforce de coller de façon adéquate aux conditions d'un moment donné de l'évolution. Le thème est une réaction de la conscience en devenir à l'être en devenir » - Bakhtine apud L. Soares de Souza, p. 154). Dans cette perspective le discours téléromanesque apparaît comme « interrelation dynamique entre le discours et le contexte narratif » (p. 155).

C'est à la lumière de l'interaction et du dialogisme qu'on peut approfondir l'idéologème - jugement apodictique de caractère doxal dont l'ensemble oriente la constitution de tout texte, indiquant l'interdépendance discours idéologique/société.

Après la vedettarisation du personnage dans la publicité enchâssée, la publicité implicite transforme l'objet en star : l'agrandissement et la fictionalisation du détail objectal n'ont aucune fonction événementielle dans le récit mais « par l'effet d'un rebondissement diégétique du récit sur le détail montré, il acquiert une valeur mimético-symbolique au sein de la situation narrative où il apparaît » (p. 182).

En discutant la principale trichotomie peircienne du signe (par rapport à l'objet), l'étude offre une corrélation subtile entre la dominante sémiotique et celle rhétorique.

 

 

INDICE Figures d'accord

Présence : répétition, amplification, énumération

ICONE Figures d'accord

Choix : synecdoque, métonymie

SYMBOLE

Types d'objets d'accord : valeurs, hiérarchies, lieux (p. 193)

Depuis Peirce les hypo-icônes sont images, diagrammes, métaphores et, plus près de nous, l'opposition jakobsonienne axe de la substitution/axe de la combinaison se réécrit comme dichotomie métaphore/métonymie ou similarité/contiguïté, ce qui rend discutable le système de corrélation (pp. 192-201), malgré la pertinence des disjonctions initiales.

Enfin, la publicité encadrée (le mot d'ordre des commandites) est un autre effet paradoxal de l'intrusion du hors-texte dans la fiction, tout comme les dénouements en fonctions des sondages auprès du public, la disparition d'un acteur et son remplacement pour le même rôle, etc. « L'action des récits encadrés où sont formulées des capsules publicitaires a une valeur descriptive : explication et évaluation d'un objet ou d'un acte qui n'influe pas sur le noyau dramatique central, mais qui confère un statut de réalité à l'action par ancrage dans un espace et temps déterminés » (p. 211).

Légitimé par la narratologie et la sémiotique peircienne, les théories de l'énonciation et le concept d'iconicité (cf. Umberto Eco et Abraham Moles), en passant par la rhétorique dans un amalgame conceptuel parfois pertinent, parfois insuffisamment défini et utilisé (sinsignification, coclassifiance, cointerprétation, la dichotomie actorial/actoriel, récits hétéromimétiques, etc., restent des emblèmes alléchants qui ne se transforment pas en heuristiques explicatives), l'ouvrage se propose un objectif ambitieux et provocateur « sémiotique sociotélespectaculaire » qu'il a le mérite d'identifier, de définir et de baliser en ouvrant des pistes pour des recherches futures : l'idéologème comme quasi-argument (développement de la théorie de Van Schendel), l'interdiscours et l'intertextualité publicitaire, le rapport sémiotique/rhétorique dans la communication publicitaire en général et dans celle du feuilleton brésilien en particulier. Perspective novatrice sur les telenovelas, l'étude constitue un instrument de réflexion utile et stimulant pour les étudiants et chercheurs du domaine de la sémiotique, de la rhétorique et du champ disciplinaire communicationnel en général.

 

Directeur de communication. Les avatars d'un modèle professionnel
de Jacques WALTER

Les dircoms : un métier en voie de professionnalisation
de Liliane MESSIKA

par Monique FOURDIN

Presque simultanément, les éditions L'Harmattan viennent de publier deux ouvrages consacrés aux « dircoms », témoignant ainsi de l'importance de la communication « comme phénomène médiatique et éditorial » (1). Mais la proximité des intitulés (Jacques Walter, Directeur de communication. Les avatars d'un modèle professionnel ; Liliane Messika, Les dircoms : un métier en voie de professionnalisation) dissimule des stratégies éditoriales contrastées, illustrant la coexistence de « deux espaces qui revendiquent explicitement l'élaboration d'un savoir théorique » sur la communication : celui des universitaires et celui des professionnels-praticiens (2). Jacques Walter, maître de conférences à l'université de Metz, mène des recherches sur la dynamique des professions saisies par l'impératif communicationnel, au sein du Centre de recherche sur les médias et de l'Équipe de sociologie de l'expertise. Son ouvrage est publié dans la collection « Logiques sociales », alors que celui de Liliane Messika est édité sous l'estampille « Dynamiques d'entreprises ». L'auteur, diplômée de l'Institut Français de Presse et du Celsa, a rejoint la tribu « dircommienne » en décrochant un poste de responsable de communication d'une association professionnelle.

Pourtant, en dépit des apparences, les auteurs se distinguent moins par leur positionnement dans le champ de la pratique ou des sciences sociales - position pouvant conduire à la promotion de la communication ou à sa dénonciation - que par l'angle sous lequel ils analysent le phénomène « dircom ». Tous deux s'accordent à dire que les communicateurs pratiquent un métier dont les contours sont flous (3), en adoptant une perspective interactionniste, même si le point de vue du praticien est davantage inspiré par l'approche fonctionnaliste fondée sur la recherche de certains critères de professionnalisation (formation, définition d'une déontologie ou d'une éthique, etc.). Quoi qu'il en soit, ces travaux relèvent bien de la sociologie des professions, et non du reportage journalistique (4). Cependant, Liliane Messika s'intéresse surtout à la population « des » dircoms, à l'identité des membres du groupe, à leur parcours (profil, position et mission dans l'entreprise, relations de pouvoir, image de soi, etc.). L'auteur s'appuie sur plusieurs enquêtes et sur les entretiens qu'elle a réalisés auprès d'une trentaine de responsables de communication en vue. Le récit de leur expérience constitue l'un des intérêts de cette étude, qui éclaire les logiques professionnelles au travers du vécu et des représentations des acteurs.

L'option choisie par Jacques Walter est différente. Son analyse porte sur le processus de construction du « modèle professionnel » qui sert de référence à l'édifice « dircom » ; question qui est seulement abordée dans la troisième partie du précédent ouvrage, consacrée à la « professionnalisation » de la « fonction » communication. Par sa dimension « macro-historique », diachronique et synchronique, l'approche de Jacques Walter est complémentaire de celle de Christian Le Moënne (5). L'auteur se situe à un méta-niveau par rapport aux discours que les dircoms tiennent sur eux-mêmes et aux enquêtes qui les concernent. C'est ce qui fait la valeur et la spécificité de sa contribution à l'étude de la fonction de responsable de communication.

Prenant le contre-pied du raisonnement fonctionnaliste, Jacques Walter suppose tout d'abord que des agents peuvent se retrouver sur une appellation commune - « directeur de communication » - tout en ayant des conceptions différentes de leur métier. Un groupe professionnel n'est pas homogène ; il est composé de segments susceptibles de s'opposer sur la définition de l'identité collective. Il part aussi du principe que les dircoms ne sont pas issus d'un phénomène de génération spontanée qui daterait des années 80. L'activité des communicateurs, présentée comme une nouveauté, serait en fait un « bricolage » opéré à partir de fonctions plus anciennes.

Cette double hypothèse est confirmée par l'étude de la « rhétorique sociale » des acteurs, c'est-à-dire le répertoire qu'ils mobilisent pour manifester leur compétence. L'analyse de la dynamique d'argumentation et de construction d'un accord sur le modèle professionnel du dircom sert à la fois à dégager des formes stables et à déceler les formules de compromis et les opérations de traduction du modèle, i.e. ses « avatars », d'une période à une autre, ou d'un segment de population à un autre. L'avantage heuristique de cette grille de lecture est de « mettre l'accent sur le processus de construction d'une forme professionnelle... par des professionnels (et non par les seuls experts en sciences sociales) » - ce que fait aussi en partie Liliane Messika - tout en ayant une méta-position par rapport à l'élaboration du discours sur cette profession. L'attention accordée aux transformations de l'argumentation et aux divergences d'interprétation permet en outre de « comprendre la relation paradoxale entre la permanence de l'activité et le discours qui présente celle des dircoms comme nouvelles ».

Les deux premières parties de l'ouvrage sont sans conteste les plus stimulantes et les mieux étayées. Elles retracent le passage progressif du modèle fondateur des « relations publiques » à celui de la « communication ». Pour ce faire, Jacques Walter mobilise plusieurs indicateurs, variables selon la période étudiée (de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 70, puis les années 80). D'abord l'auteur exhume les codes de déontologie qui ont participé à la stabilisation du modèle des relationnistes avant de participer à sa transformation. Il remonte jusqu'aux pères fondateurs américains (Ivy L. Lee) pour évaluer leur influence sur le développement de la profession en France, après guerre. Ce premier mouvement présente un intérêt historique et documentaire. Ce retour aux origines de la profession a le mérite de souligner que l'image des relations publiques « cocktail-petits fours » et la déqualification des attachés de presse détrônés par les dircoms dans les années 80 est une construction ex post de ces mêmes dircoms pour justifier leur existence. Au départ, L'Association française de relations publiques (AFREP, 1955) et le Code professionnel des conseillers en relations publiques (1954) ont fondé l'identité de la profession - officialisée par l'arrêté Peyrefitte de 1964 - sur la séparation entre les relations publiques, le journalisme et la publicité. La légitimation des relationnistes s'est faite en référence à l'« information », et non à la publicité, « celle-ci ressortant d'un principe marchand ».

Mais d'ores et déjà, cette conception civique du métier s'est trouvée concurrencée par la logique économique et managériale de la profession véhiculée par les cadres. La séquence suivante (des années 70 aux années 80), symbolisée par la refonte du code de déontologie (1974), a marqué le passage du paradigme des relations publiques à celui de la communication (extension du champ d'intervention, dimension directoriale de la communication). Plusieurs ajustements (redéfinition de la notion d'information) et compromis (achat d'espace) ont brouillé les frontières entre des activités considérées auparavant comme incompatibles. Paradoxalement, alors que la conception de l'information comme « produit » mettait les relations publiques en porte-à-faux avec leur principe de « légitimation », elle ouvrait les conditions d'un accord sur le principe de la dimension marchande de la profession, qui coïncida avec l'intérêt croissant de la presse pour l'entreprise, exacerbé dans les année 80.

Celles-ci correspondent en effet à la « cristallisation » du modèle dircom, qui fait l'objet de la deuxième partie. Au moment où les associations de relations publiques apparaissent bridées par le modèle initial, plusieurs agents vont tirer parti du « flou » consécutif aux changements intervenus au tournant des années 80 (cf. le résumé qu'en fait l'auteur). Ils vont tenir un discours de nouveauté radical autour du « lieu-dit » dircom. S'agissant de la presse professionnelle, Jacques Walter montre bien qu'elle participe à la visibilité et à l'institutionnalisation du modèle (voir le rôle de l'Expression d'Entreprise, inventeur de la marque Dircom). La description de ce phénomène de « mise en abyme » apporte de l'eau au moulin de ceux qui s'intéressent aux communicateurs, ces « montreurs montrés » (6).

Mais on retiendra surtout l'analyse du rôle joué par l'Union des annonceurs (UDA), en relation avec le CNPF, dans la diffusion d'une représentation globale de la communication, en rupture avec la déontologie des relationnistes. Chargée de « gérer l'image de l'entreprise », la direction de la communication intègre désormais l'ensemble des techniques, de la publicité produit à la publicité institutionnelle, en passant par les relations avec la presse, qu'elle considère comme un « instrument » au service de l'image de l'entreprise. On s'arrêtera également sur la consécration du modèle par l'association Entreprises et médias, en regrettant toutefois l'inévitable doublon avec l'ouvrage de Liliane Messika. On s'attardera plus volontiers sur la contestation de ce « nouveau » modèle, émanant de l'Union des attachés de presse, professionnels de la communication (UNAPC) et de l'Union des journaux et journalistes d'entreprise de France (UJJEF). Au travers des luttes de classement relatées par Jacques Walter, on peut faire l'hypothèse que la publication, en 1992, par Entreprise et médias, d'un texte de référence destiné à mieux cadrer le métier et la profession de dircom, est le dernier avatar d'une profession qui invoque « le thème de l'information pour mieux légitimer la communication » et procéder aux ajustements nécessaires à sa pérennité...

La troisième et dernière partie, consacrée aux enquêtes sur les dircoms, est un peu confuse et décevante. Pourtant, son intérêt heuristique est indéniable. Les enquêtes sont considérées comme un élément du dispositif argumentatif des professionnels. Elles sont moins le reflet de la population des dircoms qu'un enjeu de la modélisation de la compétence. Elles participent à la constitution de catégories et à la construction d'une totalité. Cependant, l'auteur est trop allusif sur les modalités de réalisation de ces enquêtes (échantillon, questions posées), ce qui ne permet pas toujours de le suivre dans sa démonstration.

Enfin, si la conclusion a le mérite de replacer les dircoms dans leur environnement (Jacques Walter propose de relier les avatars du modèle à l'évolution des formes de médiations sociales, en citant Régis Debray), elle laisse en suspens la question de la distinction entre l'information et la communication. Certes, l'auteur a souligné d'emblée qu'il souhaitait occuper une position d'extériorité par rapport au discours des acteurs, et nous ne remettons pas en cause ce positionnement épistémologique. Cependant, on pouvait espérer une remise en perspective de certains énoncés qui, tout au long de l'ouvrage, ont été présentés comme des évidences premières par les agents du champ, sans jamais être explicités, à savoir que l'information « objective » existe, qu'elle consiste à dire la « vérité » et s'oppose à la « propagande ». En outre, au lieu de repartir sur des considérations d'ordre général (information et graphosphère, communication et vidéosphère), il aurait peut-être été préférable d'évoquer les transformations du métier de journaliste et le déplacement de ses frontières, voire de sa nature (développement du journalisme institutionnel, dans les entreprises et les collectivités locales), en se demandant comment certains d'entre eux peuvent revendiquer de posséder la carte de presse et de bénéficier de la clause de conscience. On peut supposer en effet que la rhétorique sociale des journalistes employés dans des services de communication participe aussi à la modélisation de la profession de communicateur...

 

Le pouvoir d'un média : TF1 et son discours

de Jean-Pierre ESQUENAZI
par Pierre SORLIN

Jean-Pierre Esquenazi a travaillé pendant plusieurs années sur TF1 mais la sortie de son ouvrage est particulièrement bien venue au moment où la principale chaîne française s'interroge à la fois sur l'image qu'elle offre d'elle-même et sur son avenir. L'auteur ne fait pas l'histoire de TF1, il ne cherche à en éclairer ni la structure, ni le financement, ni les modes de travail, son propos dépasse la description et ne vise à rien moins qu'à établir quelques règles théoriques pour analyser la démarche d'une chaîne en direction de son auditoire. TF1 était un bon exemple mais d'autres réseaux auraient aussi bien fait l'affaire et, moyennant quelques adaptations, une démarche identique pourrait être fructueuse avec des chaînes différentes.

Tout média se fait une image du public auquel il s'adresse et adapte son style à la représentation qu'il s'est donnée. Sans être fatalement ni complices ni victimes, les usagers doivent se plier à cette image qu'on leur propose d'eux-mêmes, devenir, pour un temps, incarnations vivantes du spectateur potentiel construit par l'émetteur, faute de quoi, se sentant exclus, ils changent de média. Le pouvoir des médias réside dans leur capacité à faire admettre par le public une certaine position et la crise actuelle de TF1 illustre bien les risques de l'opération : il faut peu de choses pour que les spectateurs, refusant de se glisser dans la peau du personnage que la chaîne a programmé, fassent basculer l'audimat.

Étudier une chaîne de télévision revient dont à définir son mode d'adresse. Jean-Pierre Esquenazi voit dans ce qu'il appelle dissipation, c'est-à-dire dans un flux de fragments tous autonomes et tous très proches, une des caractéristiques majeures de TF1. Tout en acceptant l'analyse qu'il propose, on peut se demander si la dissipation n'est pas, en fait, commune à une majorité de chaînes. Dans ce cadre assez général, l'auteur introduit une autre notion, celle de chambre holographique. Cette curieuse expression est sans doute destinée à obliger le lecteur à suivre jusqu'au bout le raisonnement. TF1 se présente comme une chaîne de l'intimité, de l'enfermement et du rapport direct avec le spectateur et les nombreux exemples étudiés dans la seconde partie, celui entre autres des sitcoms, illustrent parfaitement la proposition. TF1 n'a pas de dehors mais installe son public dans un monde clos, dans une chambre. Pourtant la télévision se doit de parler du monde, de tout le monde. La particularité de TF1 serait que, par l'intermédiaire de sa présentation, le dehors serait intégré au dedans, le direct devenant par exemple non pas un indice supplémentaire de réalité, mais un ajustement du temps extérieur, du temps de l'événement, au temps interne de l'émission. L'écran de TF1 serait donc bien une chambre holographique, un espace à deux dimensions qui, sans rien perdre de sa platitude, donnerait l'illusion du relief.

La chambre holographique est un lieu d'intimité, elle présuppose l'émotion, celle du spectateur, celle des invités qui viennent lancer un avis de recherche ou confesser leur amour en danger. Comment la chaîne peut-elle, dans ces conditions, garder une réputation de sérieux ? Dans le passage probablement le plus tendu de son livre, Jean-Pierre Esquenazi répond en définissant l'impartialité de TF1 qui consiste d'une part à éviter toute forme de jugement, d'autre part à faire un usage rigoureux, presque acrobatique de vues stéréotypées. Ainsi la promesse de révélations prend-elle un tour d'autant plus objectif que tout dans un programme, des images aux commentaires, ne fait que ressasser ce qui était déjà connu : ce que chacun savait est obligatoirement réel.

Enrichissant ses proposition théoriques d'exemples qui, pour finir, couvrent presque toutes les émissions de la chaîne, l'ouvrage intègre parfaitement le spectateur potentiel à la chambre holographique. Découvre-t-il une spécificité de TF1 ? Une curieuse quatrième partie, esquisse de conclusion, introduit deux données, l'habillage et derrière lui la publicité, qui sont décidément intertélévisuelles. Et si, après tout, la longue prépondérance de TF1, née à l'époque où n'existait qu'une seule chaîne, était devenue, avec le temps, une prépondérance uniforme des chaînes « grand public » ?

 

Television, An International History

sous la direction de Anthony SMITH
par Pierre SORLIN

Bonne fille, l'histoire se laisse violenter. Sous peine d'avoir l'air prétentieux, personne n'oserait intituler un recueil d'articles « psychologie » ou « anthropologie » de la télévision mais on peut toujours afficher « histoire de la télévision ». Le livre dirigé par Anthony Smith n'est qu'à peine une histoire et n'est que très partialement international, Rede Globo, un des plus puissants réseaux du monde, n'y a droit à huit lignes, où il n'est question que des investissements de Time Life, l'Afrique noire, les pays arabes, l'Europe de l'Est sont à peine mentionnés. L'accent est mis sur les États-Unis, les pays anglophones et, assez sommairement, l'Europe.

Une courte première partie rappelle l'évolution des techniques, suit la télévision américaine jusqu'aux années soixante et, sous le titre ambigu de « Television as a Public Service Medium », fait un sort à la France, à l'Union Soviétique, aux deux Allemagnes et à l'Angleterre. Cette large introduction une fois terminée, le volume offre une suite d'essais sur les genres, les publics et les systèmes télévisuels. Probablement laissés à eux-mêmes, sans instructions sur la manière de construire leurs textes, les auteurs ont choisi des démarches variées. Certains se sont bornés à suivre l'évolution des textes réglementaires. D'autres, comme Daniel Dayan et Elihu Katz, ont repris des études antérieures (dans leur cas sur les cérémonies télévisées) en les actualisant. D'autres enfin ont tenté de poser quelques problèmes généraux. Abordant l'usage familial du téléviseur, Susan Briggs évite les spéculations et se demande d'une part comment les chaînes ont imaginé leur public familial, d'autre part comment la famille a été mise en scène par le petit écran. Réfléchissant sur le terrorisme, Philip Schlessinger montre d'abord son extrême diversité, liée à des circonstances locales. Il souligne ensuite le rôle pervers des chaînes américaines : en couvrant largement le moindre incident, elles ont fini par créer une image standard de la violence, qui n'est en fait que la violence filmée par elles, mais qui fait perdre de vue les autres aspects du terrorisme et crée le mythe d'une mondialisation du crime politique. Ces textes, et quelques autres articles, auraient pu faire un bon numéro de revue. De là à en tirer un gros volume, il y avait loin.

 

La lumière

sous la direction d'Alexis GAUDIN et d'Ernest LACAN
par Françoise DENOYELLE

La Lumière première revue française consacrée uniquement à la photographie était jusqu'à ce jour quasi inaccessible au chercheur ; même une institution aussi vénérable que la Société française de photographie ne possède que les cinq premières années. Les éditions Jeanne Laffitte après enquête auprès des bibliothèques publiques et privées, en France et à l'étranger, sont parvenues à rassembler les dix premières années qu'elles viennent de rééditer sous forme de deux in-folio de plus de 2 000 pages.

1851 est une date charnière dans l'histoire de la photographie en France. Cette année-là, à l'initiative de la Commission des Monuments historiques, la Mission héliographique est constituée : on en connaît les résultats. Fin janvier de la même année, la Société héliographique est créée sous la présidence du Baron de Cros. Elle accueille des photographes et des hommes de science aussi prestigieux qu'Hippolyte Bayard, Niepce de Saint Victor, Le Gray, Le Secq, Becquerel... L'une des premières initiatives de la jeune société est de se doter d'un organe d'information : un in-folio hebdomadaire fondé par le colonel De Monfort et l'abbé Moigno. La Lumière est la première revue entièrement consacrée à la photographie. La première livraison de cette « Revue de la photographie - Beaux arts - Héliographie-Sciences, journal non politique paraissant le samedi » est datée du 9 février 1851. La dernière du 30 mars 1867. En novembre 1851, Alexis Gaudin, originaire de Marseille, en devient le propriétaire et demande à Ernest Lacan d'en être le rédacteur en chef. Il occupera cette fonction de décembre 1851 à décembre 1860 date à laquelle il quitte La Lumière pour fonder Le Moniteur de la photographie.

Tout au long de cette période (1851-1860) la revue ouvre ses colonnes aux débats qui animent la réflexion sur le nouveau médium. Des critiques aussi connus que Henri de Lacretelle, Paul Perier esquissent les premiers éléments d'une analyse critique. La plupart des photographes de l'époque, dont on ne connaît plus aujourd'hui qu'une mention sous une illustration, y sont évoqués. Les photographes majeurs s'y expriment très régulièrement (Les frères Bisson, Disdéri, Marville, Nègre, Belloc...) et tous les aspects de l'activité photographique y sont analysés et confrontés, depuis la rencontre de la photographie avec les Arts et l'Industrie et la Science jusqu'à des entreprises plus personnelles. Si l'on y ajoute des informations sur les missions photographiques, les albums, les expositions, les mises au point sur les nombreuses découvertes, modifications des procédés, les nouvelles transmises par les correspondants étrangers, on obtient un large panorama de l'activité photographique de l'époque. Nul doute que la mise à la disposition d'une masse aussi considérable d'informations ne suscitera de nouvelles recherches sur l'histoire de la photographie de cette période. On peut néanmoins regretter que les éditions Jeanne Laffitte aient privilégié les premières années, celles où E. Lacan en est le rédacteur en chef. La période 1861 à 1867 pour moins brillante qu'elle soit n'en offre pas moins, elle aussi, un intérêt certain.

 

August SANDER

introduction de Suzanne LANGE
par Françoise DENOYELLE

August Sander (1876-1964), photographe allemand, définissait ainsi son entreprise : « Laissez-moi donc dire honorablement la vérité sur notre temps et ses êtres humains. » Avec une obstination et une précision rares August Sander brosse le portrait de trois Allemagne : celle de Guillaume II, celle de Weimar et celle d'Hitler. Comme le peintre Otto Dix, à travers les portraits de ses contemporains, il dresse l'inventaire de la société allemande des années 1920-1930.

Sa première confrontation avec la photographie, sur un carreau de mine, le marque d'une manière décisive. Il prend conscience que l'on peut saisir le réel d'une manière qu'il n'avait jusqu'ici jamais envisagée. Commence alors, en 1899, une tournée d'apprentissages qui le conduit à Berlin, Magdebourg, Leipzig et Dresde avant son installation, comme photographe portraitiste, à Lindz, en 1901, puis à Cologne, en 1910. Dès cette époque il commence à se constituer une clientèle dans le Westerwald, clientèle dont nombre de ses composants participera à la confection de son livre majeur : Hommes du XXe siècle. La Première Guerre mondiale interrompt ses activités qu'il reprend en 1918. Cologne est alors le lieu de rayonnement du groupe dit des « Progressistes de Cologne » qui cherchent à concilier les différentes avant-gardes et les aspirations à un changement de politique. « Constructivisme et objectivité, géométrie et objet, général et particulier, conviction avant-gardiste et engagement politique, elle (la tendance des Progressistes de Cologne) représentait peut-être la tendance la plus riche d'avenir de la "Nouvelle objectivité" lorsque la prise du pouvoir par les nationaux socialistes mit aussi une fin brutale à ces espérances là (1). » Les débats des « Progressistes de Cologne » permettent à August Sander de développer, formuler et théoriser ses propres recherches, de mener à bien ses propres travaux en matière photographique : brosser le portrait de son époque. L'organe du groupe, la revue Abis Z lui ouvre ses colonnes et lui consacre plusieurs articles où sont analysées les caractéristiques de l'œuvre en voie de réalisation. Portraitiste, August Sander est à la fois un documentaliste et un sociologue. Se gardant de toute idéalisation comme de toute image réductrice, il accumule les prises de vue et concentre ses efforts d'abord dans les cercles de ses relations et amitiés intellectuelles puis dans ceux de sa fidèle clientèle. Le projet initial du photographe est d'établir une documentation socio-historique de son époque aussi complète que possible. Sous le titre Hommes du XXe siècle, il brosse le portrait de ses contemporains sous forme d'archétypes : le pâtissier, l'instituteur, le pianiste... L'ensemble est partagé en sept groupes selon des catégories définies par August Sander qui envisage de constituer quarante-cinq portfolios de douze clichés chacun. Pour cette entreprise il veut rassembler les images du paysan, du métier, de la femme, des notables, des artistes, de la grande ville, des laissés pour compte. Interrompu par la Seconde Guerre mondiale, ralenti par la vieillesse de son auteur, le grand œuvre, quoique très avancé, ne sera jamais terminé.

Vêtements, attitudes, objets familiers, environnement désignent, sans ambiguïté, les portraits de Sander comme les témoins de leur temps, les porte-drapeaux de leur classe sociale, les faire-valoir de métiers depuis lors disparus mais naguère clairement déterminés. Visages, physionomies, attitudes corporelles ont la rigidité des postures qui ne traduisent aucune disposition psychologique momentanée mais plus précisément le sentiment naturel qu'ils ont d'eux-mêmes. Nombre d'entre-eux préfigurent l'avènement du IIIe Reich.

Le regard porté par Sander sur ses contemporains est d'abord accueilli avec enthousiasme en 1929 lors de la publication de Antlitz der Zeit en Allemagne comme à l'étranger. Il n'en sera plus de même, 7 ans plus tard. En 1936, deux ans après que son fils, membre du Parti ouvrier socialiste, eût été condamné à dix ans de prison, les planches de Antlitz der Zeit sont confisquées et détruites par l'administration nazie. A partir de cette époque Sander travaille dans une semi-clandestinité. De nouveau la guerre et ses bouleversements interrompent ses activités. Il réussit cependant à mettre en sécurité cinquante mille négatifs.

Derrière la perfection technique des portraits s'articule un réseau complexe qui relie chaque sujet à un type, chaque type à une série, chaque série à l'ouvrage et donne son unité à une tâche qui dépasse la simple documentation, s'adapte parfaitement à l'outil photographique, et déborde largement le cadre fixé par son initiateur.

 

Lumière. La couleur inventée

Les autochromes, collection privée de la famille Lumière

de Nathalie BOULOUCH
par Françoise DENOYELLE

En 1848, Becquerel s'interroge sur la possibilité d'obtenir sur une surface sensible « une image du spectre aussi semblable que possible à celle que nous percevons directement sous nos yeux » (1). Espoir chimérique. Longtemps la couleur, en photographie, ne dépasse pas l'expérimentation voire l'utopie. Une étape décisive est franchie par le physicien G. Lippmann. En 1891, il met au point un procédé interférentiel ; mais ce sont Ch. Cros et Ducos du Hauron qui, par le moyen indirect de la trichromie, jettent les bases théoriques propres à permettre une production industrielle. En 1892, Auguste et Louis Lumière s'engagent à leur tour dans l'aventure. Elle durera onze ans. Onze années de recherches multiples entrecoupées de découvertes majeures mais assez éloignées de la couleur. Le cinéma et son extraordinaire engouement populaire, les exigences commerciales qui en découlent (tournage de films, envoi d'opérateurs dans le monde) ne détournent cependant pas les frères Lumière de leurs préoccupations. La maîtrise de la photographie en couleur n'est pas pour eux une entreprise secondaire. Ils y consacrent une grande partie de leur temps, de leur énergie, de leurs moyens financiers et mettent à profit l'expérience et le potentiel industriel et commercial constitué par la fabrication de la plaque « Étiquette bleue » extra rapide permettant la photographie instantanée.

Les frères Lumière s'inspirent de la méthode de Ducos du Hauron selon laquelle le mélange en proportions adéquates de trois couleurs convenablement choisies permet de reproduire l'infinie variété des tons. Les expérimentations se suivent, les résultats encouragent la persévérance. Les stéréoscopies en couleur, projetées, à la suite des vues cinématographiques, sur l'écran géant de la salle des fêtes de la Galerie des machines de l'Exposition universelle de 1900 fascinent les visiteurs. En 1903, le choix des Lumière s'arrête sur les grains de fécule de pomme de terre, colorés en vert, violet et orangé et interposés entre une plaque de verre et une émulsion photographique. A l'exposition, dans l'appareil, le rayon lumineux atteint la couche sensible après avoir été filtré par les grains colorés ; au cours d'un double développement, l'impact du rayon, d'abord opaque, est inversé et laisse percevoir par transparence les grains sélectionnés. Les premières plaques, de fabrication artisanale, exhibées à l'occasion d'un congrès photographique ; reste à franchir une étape, souvent fatale aux multiples inventions photographiques, le passage à la photographie industrielle.

Affaire de famille où les directeurs sont aussi les actionnaires, la Société Lumière peut ainsi s'autofinancer tant que la concurrence d'Eastman ne perturbe pas le marché. En 1903, un brevet pour ce qui deviendra la plaque autochrome est déposé mais ce n'est qu'en 1907 que le procédé est commercialisé. Il faut en effet construire de nouveaux ateliers, créer d'autres machines. Les Lumière qui ont déjà connu quelques déboires financiers se lancent pourtant dans l'aventure. De nombreux obstacles freinent la mise en place des différentes phases du processus industriel. La répartition homogène des grains, le laminage sous pression et le garnissage des interstices par une poudre de charbon s'avèrent d'une mise en œuvre difficile. Il faut sans cesse, avec pragmatisme et ingéniosité, simplifier, trouver des solutions peu coûteuses et rapides. En 1907, l'autochrome met la couleur à la portée des amateurs.

Des plaques sont disponibles dans différents formats du 4,5 x 6 cm au 13 x 18 cm. Il existe également des formats pour la stéréoscopie dont la pratique est toujours en vogue en France. Mais si l'autochrome apporte la couleur aux photographes ce n'est pas sans contraintes. Les plaques, moins sensibles que celles des « Étiquettes bleues », surtout au début, ne permettent pas l'instantané et exigent un temps de pose long pour l'époque : 2/10e de seconde à une seconde au soleil, aussi l'amateur doit-il, le plus souvent, être muni d'un pied pour fixer son appareil. C'est pourquoi il se limite la plupart du temps au portrait et aux incursions dans le parc de sa propriété. Autre inconvénient, les autochromes ne peuvent être observés que par transparence ou par projection sans que la duplication soit possible et leur prix est élevé. Une plaque autochrome vaut trois fois plus qu'une plaque « Étiquette bleue ». Conscients de ce handicap, les frères Lumières commercialisent leurs plaques autochromes en boîtes de quatre au lieu de douze pour les « Étiquettes bleues ». Ce qui fait que les boîtes demeurent au même prix. En dépit de ces quelques réserves l'autochrome s'impose. Il est d'un emploi facile, du moins pour les photographes avertis de l'époque habitués à des travaux de laboratoire, et produit une image dans la filiation des recherches picturales de la fin du XIXe siècle. Enfin, par son caractère unique, il confère à la photographie son statut d'œuvre d'art non reproductible si cher aux pictorialistes. Le succès ne se fait pas attendre. La plaque autochrome est vendue dans le monde entier et sa production dépasse six mille unités par jour avant 1914. Très vite elle est en concurrence avec de nombreux autres procédés (Finlay, Paget, Dufay, Jougla) mais la qualité de son rendu, les améliorations apportées (la pellicule remplacera la plaque de verre), l'efficacité du réseau commercial Lumière, lui confèrent un quasi monopole de la couleur jusqu'en 1936/1938.

Les artistes de l'époque se passionnent, de façon passagère, pour le nouveau procédé. A. Stieglitz, E. Steichen, H. Lartigue l'expérimentent avec bonheur et quarante autochromes figurent à l'exposition de photographie pictorialiste, à New York, en 1909. La revue Le Studio consacre un numéro spécial à l'autochrome en 1908. Mais ce sont les riches amateurs qui forment la cohorte des utilisateurs et parmi eux Les Lumière. Afin d'assurer la diffusion commerciale de leur nouveauté, Les Lumière organisent des séances de projections d'autochromes. La première et la plus prestigieuse a lieu le 10 juin 1907 dans les locaux de L'Illustration. Auguste Lumière donne une conférence et des clichés sont projetés. Ils appartiennent aux frères Lumière et à Léon Gimpel photographe de L'Illustration. Après les essais artisanaux de 1904 les frères se sont adonnés au plaisir de la couleur avec un enthousiasme évident. Comme pour les premières vues cinématographiques la famille et le milieu environnant constituent des sujets de prédilection. Il est difficile de connaître les véritables auteurs des autochromes du fonds familial : Louis, Auguste, d'autres membres de la famille, des amis et des collaborateurs ont opéré mais l'ensemble constitue un fonds cohérent.

 

(1) Christian LE MOËNNE, « L'ère de la dissuasion symbolique », in Cinémaction n°63, 1992.

(2) Érik NEVEU et Rémy RIEFFEL, « Les effets de réalité des sciences de la communication », in Réseaux n° 50, 1991.

(3) Liliane MESSIKA, « Dircoms et journalistes : une convergence du flou », in Réseaux n° 64, 1994.

(4) Robert TIXIER-GUICHARD et Daniel CHAIZE : « Les dircoms. A quoi sert la communication ? Enquête », Le Seuil, 1993, compte rendu dans Réseaux n° 64, 1994.

(5) L'ère des communicateurs ? Enjeux sociaux et politiques du phénomène de la communication d'entreprise en France (1968-1988), thèse de sciences politiques, 1991.

(6) Érik NEVEU, « La société de communication et ses interprètes », in Réseaux n° 64, 1994.

(1) Franz Wilhem Seiwert « August Sander Antlizt der Zeit », Abis Z, mars 1930, p. 22.

(1) Rapport sur un mémoire de Mr E. Becquerel.

Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des Sciences (1849).