NAVIGATION ET INTERFACES : CARTES CONCEPTUELLES ET AUTRES OUTILS

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4. Conclusion général

Cette revue de travaux (qui, encore une fois, n'a aucune prétention à l'exhaustivité) fait apparaître, parmi ceux-ci, une grande diversité :

- diversité des objectifs visés : élaboration d'outils pour les uns, évaluation des utilisations de ces outils pour d'autres

- diversité des utilisations prises en compte : de l' « Information Retrieval » classique à l'apprentissage de contenus scolaires, en passant par diverses formes d'exploration, de butinage ;

- diversité des outils eux-mêmes : de la base de données bibliographiques au World Wide Web, en passant par divers hypertextes, hypermédias, bases de documents en texte intégral ; du thésaurus à la représentation des rayons de la bibliothèque, en passant par des représentations graphiques variées

- diversité des domaines conceptuels abordés et de leur taille : d'un petit texte au gigantisme du World Wide Web, en pasant par des domaines entiers de connaissances (comme les sciences de l'éducation, la médecine) ;

- diversité du statut de ces outils, tantôt prototypes de laboratoire, tantôt insérés dans un environnement et confrontés aux problèmes de maintenance, aux besoins des utilisateurs.

Cette hétérogénéité des recherches, associée au caractère récent des travaux, conduit plus à des questionnements qu'à des résultats. Ce sont quelques uns de ces questionnements que nous examinons en guise de conclusion.

Quelles navigations ? Quels modèles de tâche/d'activité ? Quels outils d'évaluation ?

Types de navigation

Nous avions indiqué en introduction que la distinction entre navigation à des fins d'apprentissage et à des fins de recherche d'information correspondait plus aux pôles d'un continuum d'usages qu'à une dichotomie. Nous avons vu, au cours de l'analyse des recherches, que la navigation ne s'effectuait pas dans les mêmes couches selon les cas. En situation d'apprentissage, elle s'effectue surtout dans la couche « documentaire » et la couche située au dessus est une aide au repérage ; en situation de recherche d'information, la navigation s'effectue dans la couche conceptuelle plutôt que dans la couche documentaire. Cependant, la question des usages, l'existence de différents types de navigation, sont apparues dans de nombreuses recherches.

Les hypermédias, les bases en texte intégral et les outils de navigation font apparaître des situations intermédiaires entre apprendre un contenu et rechercher une information précise. Ainsi LE CROSNIER (1991) distingue cinq stratégies d'utilisateurs qui correspondent à des besoins en information bien différents. A côté de la requête (searching), qui correspond à un but précis et bien défini, tel que le conçoit l'« Information Retrieval », cet auteur propose le balayage (scanning), pour couvrir un thème sans descendre dans le détail, le butinage (browsing), qui correspond à un besoin moins définissable mais qui conduit l'utilisateur à poursuivre un chemin jusqu'à satisfaction de ce besoin, l'exploration (exploring) « qui permet de couvrir toutes les perspectives de l'information recueillie » et le vagabondage (wandering), qui, lui, ne correspond pas à un objectif défini mais « consiste en un cheminement non structuré parmi les éléments d'information » (p. 287).

Ces définitions ne sont pas encore très opératoires ; elles soulignent cependant la diversité des situations à prendre en compte pour l'analyse de la navigation et proposent un découpage auquel il faudrait associer des critères d'identification : quels besoins en information, exprimés et repérés comment, sont à associer à quelles pratiques de navigation, caractérisées par quoi ?


Modèles de tâches et modèles d'activités13

C'est à l'élaboration de modèles de tâches et de modèles d'activités que nous sommes confrontés. Les recherches menées autour de la navigation d'apprentissage et celles menées autour des navigations de recherche d'information présentent, sur ce point, un décalage de maturité assez net. Alors que les premières ont dépassé la centrage sur l'outil technique pour aborder des questions de pédagogie, d'ergonomie cognitive ou de didactique, les secondes se focalisent sur l'élaboration de prototypes et l'évaluation des usages de ceux-ci reste trop souvent un voeu pieux. L'avance des premières peut-elle bénéficier aux secondes pour l'élaboration de ces modèles ?


Les recherches sur les navigations d'information disposent déjà de résultats pour aborder la constitution de tels modèles, en particulier pour déterminer les dimensions à prendre en compte.

- L'étude des différences de structure dans des recherches d'information menées par des professionnels d'un domaine et des professionnels des sciences de l'information dans divers types de bases de données (MARCHIONINI et al. 1991) montre le rôle de l'expertise du domaine.

- Ceux de DILLON (1993) soulignent l'importance de la maîtrise de la structure des documents.

- Vers la fin des années 80, BATES dénonçait l'inadaptation des OPACs aux usagers et prônait la recherche d'information par « berry picking ». Le modèle qu'elle proposait ne rendait cependant pas compte de la double démarche des usagers qui d'une part ont un but général et d'autre part réagissent au coup par coup, selon les résultats de chaque requête. Les interfaces de navigation et la structuration assez systématique en deux couches, avec deux niveaux de navigation, permettent de réaliser cette articulation. Qu'en font les usagers ? Comment coordonnent-ils les deux niveaux selon les types de navigation qu'ils effectuent ? On a là également un axe de recherche pour l'élaboration de modèles de l'activité.


Outils d'évaluation

L'élaboration de modèles de tâches/d'activité est indissociable de l'évaluation des sytèmes de navigation. Les tâches tests les plus utilisées dans les recherches présentées sont répondre à des questions factuelles, localiser des informations ; les critères sont des temps, des précisions de réponses. Certains travaux s'inscrivent dans le programme TREC. O'DAY et JEFFRIES (1993) ont souligné l'inadaptation du rappel et de la précision pour les usagers et l'on peut s'interroger sur la pertinence des questions factuelles lorsqu'on s'éloigne de l'IR : comment ces questions permettraient-elles d'évaluer des démarches de butinage, d'exploration ? Il existe des taxonomies d'objectifs pédagogiques et l'on sait bien que l'on n'évalue pas des capacités de synthèse en faisant réciter des formules ou des dates. Ne fait-on pas pourtant un peu cela lorsque l'on choisit les tâches expérimentales? Quels jeux de tâches faut-il envisager dans les expérimentations ?


Certaines études font appel à des tâches plus larges dans lesquelles les utilisateurs doivent justifier un point de vue ou élaborer une carte conceptuelle du domaine « navigué » (DESSUS et HEDON, SIMPSON et McKNIGHT). Ces tâches sont plus délicates à utiliser, dans des expérimentations, que des scores ou des temps de réponse. Elles correspondent sans doute mieux à certaines activités mises en oeuvre au cours des navigations. Les travaux sur les expertises montrent qu'avec celles-ci la taille des domaines maîtrisés se développe, la granularité des connaissances s'affine et les liens entre celles-ci se densifient. Les cartes conceptuelles permettent-elles d'évaluer ces effets ? Conçues pour représenter les liens entre un petit nombre de concepts, peuvent-elles être utilisées pour des domaines plus vastes ? La prééminence qu'elles donent aux relations hiérarchiques permet-elle de rendre compte des liens à travers lesquels les utilisateurs naviguent ?


Quelles interfaces pour quels domaines ?


La diversité des interfaces de navigation proposées, l'évolution que l'on voit s'opérer conduisent elles aussi à des questions. Celles-ci sont de deux ordres.

- Alors que, vers la fin des années 80, on voit se développer les espoirs et les projets autour des interfaces graphiques (qui n'existent pas encore pour la navigation), dans la seconde moitié des années 90, on voit à la fois se multiplier les interfaces graphiques (en particulier de type cartes conceptuelles) et se résorber leur position de seule interface possible pour la navigation. NAUER et LAMIREL proposent des menus et des sous-menus, COCHRANE et JOHNSON également . Si l'interface que proposent BORGMAN et al. est graphique, elle n'a rien à voir avec les cartes conceptuelles mais repose sur la métaphore de la bibliothèque et le repérage géographique de ses usagers. Les interfaces graphiques de type cartes conceptuelles sont-elles inefficaces ou/et trop complexes à construire dans le cas de vastes volumes d'information ?

- Les recherches qui font appel à ce type d'interface, quel que soit leur contexte ou la discipline à laquelle elles se rattachent, partent du principe qu'une représentation spatiale est toujours lisible ou, plus exactement, plus lisible qu'une représentation textuelle. La référence à la supériorité du court schéma sur le long discours est un leitmotiv. Cette supériorité est-elle réelle? Le schéma ne peut pas toujours être court ; que devient alors son efficacité ? Que sait-on de l'évolution génétique de la lecture de schémas, de cartes ? La didactique de la géographie peut-elle nous fournir des réponses ?

Mécanismes de lecture et hypermédias

De même que la possibilité de naviguer fait apparaître de nouvelles situations de démarches d'information, le développement des hypermédias conduit à de nouvelles situations de lecture et à de nouvelles questions sur les mécanismes de compréhension des textes. KINTSCH et van DIJK ont décrit des mécanismes de traitement d'un texte linéaire ; que deviennent-ils dans une lecture d'hypertexte ? Comment faciliter la construction de la macrostructure ? Que deviennent la cohérence locale et la cohérence globale, non plus au niveau du passage lu -le niveau du noeud- mais au niveau du réseau ? Si de nombreuses études cherchent à réduire la desorientation de l'utilisateur et ainsi à améliorer la cohérence globale, seule l'étude de THÜRING, HANNEMAN et HAAKER tente d'expliciter des principes de conception qui tiennent compte des deux niveaux de cohérence à chacun deux niveaux de la lecture (celui du noeud et celui du réseau). Les moyens indiqués par ces auteurs sont inégalement convaincants ; ils sont cependant intéressants et l'on ne peut que souhaiter voir cette recherche donner naissance à d'autres travaux qui testeront les propositions faites.

Prise en compte de l'apprentissage des outils de navigation

Les premiers travaux sur les cartes conceptuelles, comme ceux de NOVAK, par exemple, mettaient l'accent sur la nécessité d'un apprentissage (de 8 à 10 semaines) de ce type d'outil. Cet apprentissage long est difficile à insérer dans des expérimentations, en particulier pour celles qui se donnent comme contexte non l'acquisition de contenus mais la recherche d'information. Quels protocoles expérimentaux faudrait-il élaborer et quelles précautions faut-il prendre pour interpréter les résultats des recherches qui ont fait peu de place au temps d'apprentissage ?

La constitution des équipes de recherche

Le décalage de maturité constaté entre les recherches cognitives menées autour des navigations d'apprentissage et celles menées autour des navigations de recherche d'information conduit à s'interroger sur un couplage possible des équipes de recherche : celle qui élabore l'outil et celle qui en étudie l'utilisation. Il est aussi dommage de voir des prototypes intéressants non validés que des recherches cognitives bridées par insuffisance de l'outil utilisé.


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