NAVIGATION ET INTERFACES : CARTES CONCEPTUELLES ET AUTRES OUTILS

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2. Navigation et apprentissage

Le développement des hypertextes puis des hypermédias a rendu plus fréquentes les situations d'apprentissage dans lesquelles l'apprenant détermine lui-même son cheminement. Après une première phase d'optimisme, l'accent a été mis sur les difficultés rencontrées par les apprenants et leurs problèmes de désorientation. Les termes dans « perdus dans l'hyperespace », « surcharge cognitive », « problème des digressions emboîtées », « syndrome du musée d'art » ont alors été utilisés pour caractériser les conduites des utilisateurs. Ces difficultés ont, à leur tour, suscité des recherches ; nous en distinguerons deux types :

- celles qui comparent l'efficacité d'apprentissages linéaires et par navigation dans des hypermédias,

- celles qui cherchent à déterminer les facteurs d'efficacité des hypermédias et à définir des règles de conception.

2.1 Efficacité relative des apprentissages séquentiels et navigationnels

Dans ces travaux, une ou plusieurs situations d' « apprentissage linéaire » sont comparées à des situations d'apprentissage sur des hypertextes ou des hypermédias.

2.1.1 Validité des comparaisons

Les travaux qui réalisent de telles comparaisons manipulent de nombreux facteurs, ce qui rend l'analyse comparative difficile.

- âge des sujets: enfants d'école élémentaire, étudiants d'université ou adultes en situation professionnelle.

- expertise des sujets sur le domaine : novices ou experts.

- structure du domaine étudié : plus ou moins hiérarchique, séquentielle, ou réticulaire.

- volume des connaissances à manipuler : plus ou moins important, mais exprimé en « unités » différentes : nombre de noeuds, de cartes, ou encore de mots.

- structures de présentation utilisées : la structure linéaire est toujours présente mais la présentation en réseau peut être soit strictement hiérarchique, soit réticulaire, soit mixte.

- supports de présentation : certains travaux n'utilisent que des supports informatisés, d'autres incluent des supports papier.

- les tâches-tests : il s'agit le plus souvent de répondre à des questions factuelles, mais certaines recherches demandent aux sujets des réponses plus complexes (justifier un point de vue) ou des tâches de structuration (par exemple, tracer une carte cognitive du domaine).

2.1.2 Présentation de quelques recherches

McKnight et al. (1990):

Les auteurs comparent les résultats de 16 sujets adultes confrontés à quatre types de présentation d'un texte sur l'oenologie (il y a donc 4 sujets par condition expérimentale).

- deux présentations linéaires, l'une sur papier, l'autre au moyen d'un traitement de texte

- deux présentations hypertextuelles, avec deux logiciels différents (Hypercard et TIES).

Le texte comporte 13 pages en version séquentielle, 53 cartes Hypercard et 78 écrans TIES. La tâche-test demandée aux sujets est la réponse à 12 questions ; les auteurs précisent que ces questions ont été élaborées pour faire appel à diverses stratégies de récupération de l'information mais ne donnent aucun exemple.

Les résultats montrent l'infériorité des présentations hypertextuelles sur les présentations linéaires, qu'il s'agisse

. du temps passé à lire le contenu,

. du temps passé à consulter les index ou les tables des matières,

. de la précision des réponses,

. de l'exactitude de l'estimation de la taille du document.

Les auteurs notent, de plus, que les sujets utilisant les présentations hypertextuelles passent beaucoup de temps à consulter les index et relativement peu à naviguer dans le contenu lui-même.

McDonald et Stevenson (1996)

Ces auteurs comparent les résultats de 12 sujets, étudiants de second cycle (postgraduate) en psychologie, confrontés à trois présentations informatisées d'un texte de psychologie sur l'apprentissage (il y a à nouveau 4 sujets par condition expérimentale) :

- une présentation à structure linéaire,

- une présentation à structure hiérarchique stricte (un noeud-fils a un seul noeud-père),

- une présentation en réseau.

Le texte comporte environ 4500 mots, les documents hypertextuels 45 cartes.

Après la lecture du texte, les sujets doivent en estimer la taille puis répondre à 10 questions (par exemple: qu'est-ce qu'une heuristique ?). Après une tâche tampon, ils doivent localiser les informations qui permettent de répondre aux 10 questions puis remplir un questionnaire d'évaluation de leur apprentissage et de leur « désorientation ».

Les résultats ne montrent pas de différence entre les trois conditions quant à la précision des réponses. Par contre, sur d'autres aspects, on observe à nouveau la supériorité de la présentation à structure linéaire sur celles à structure hypertextuelle. La structure hypertextuelle non hiérarchique est celle qui conduit aux plus mauvais résultats, qu'il s'agisse

. du temps passé,

. de la facilité de localisation de l'information,

. de l'estimation de la taille du texte,

. de l'estimation, par les sujets, de leur capacité à utiliser l'hypertexte.


Dessus et Hedon (1996)

Ces auteurs cherchent à dissocier les rôles des trois facteurs suivants: le support, le mode de structuration et la tâche donnée aux sujets.

Ils proposent à 82 étudiants un document de 114 pages-écran sur l'informatique à l'école » et font varier :

- la tâche : butinage3

ou recherche d'information pour argumenter des réponses à des questions,

- le support : papier ou ordinateur,

- la structure : linéaire ou hypertextuelle.

Pour tester l'évolution des sujets sur le thème étudié, les auteurs demandent en prétest et posttest une carte cognitive sur `l'informatique à l'école'.

Les questions posées aux groupes qui ont une tâche de recherche d'information sont très diverses : les unes sont factuelles, les autres demandent une analyse (par exemple : « quelle manière de pratiquer l'informatique à l'école vous semble la plus intéressante ? Justifiez votre réponse »).

Les résultats, difficiles à lire en raison du croisement des trois facteurs, ne sont pas favorables à la structure hypertextuelle, surtout quand le support est informatisé : si l'on veut butiner, il vaut mieux le faire sur papier ! On observe cependant que les différences de performance en fonction de la tâche s'amenuisent sur ordinateur.

Mohageg (1992)

La situation qu'utilise cet auteur est une situation de recherche d'information ; cependant, la petite taille du document utilisé conduit à la placer parmi les travaux consacrés à « navigation et apprentissage ».

Mohageg compare les résultats obtenus par 48 sujets adultes confrontés à 4 types de structuration d'un document informatisé. Ce document traite de la géographie politique et économique de 6 pays d'Afrique du Nord. Il comporte 187 noeuds. Les quatre structures utilisées sont :

- linéaire : en chapitres, sections, sous-sections comme dans un livre,

- hiérarchique stricte,

- en réseau : les liens sont établis sur la base d'une recherche par mots-clefs,

- mixte: par combinaison des deux structures précédentes.

La tâche demandée aux sujets est de localiser des informations permettant de répondre à des questions factuelles.

Les résultats montrent que la structure linéaire est la moins efficace et la structure hiérarchique la plus efficiente. La structure en réseau n'est utile que lorsqu'elle permet de court-circuiter le suivi de nombreux liens ; la combinaison de types de liens n'est intéressante que lorsque l'on vise une diminution des temps de recherche.

2.1.3 Discussion

Les résultats des diverses expérimentations menées ne sont donc pas concordants : dans les résultats obtenus par chacun des quatre groupes d'auteurs cités, et même parmi les divers travaux analysés par ces auteurs, les résultats de Mohageg semblent constituer une exception. Ceci conduit à s'interroger sur l'intérêt des structures non linéaires pour l'apprentissage. Ainsi ROUET (1992 b) donne-t-il comme sous-titre à une analyse de recherches menées sur les hypertextes « When does non linearity help ? ». Il faut cependant prendre en compte deux aspects des recherches menées qui peuvent restreindre la validité de leurs résultats :

· Le premier concerne les tâches données aux sujets et les variables dépendantes utilisées. Il s'agit généralement d'apprendre des données factuelles, sur un domaine limité, et l'apprentissage en est évalué par un test de mémoire immédiate. Si l'on prenait en compte la mémorisation à long terme, le transfert, la capacité à structurer un contenu large, quels résultats donneraient les expérimentations que nous venons d'analyser ?

· L'autre facteur concerne la maîtrise de l'outil hypertexte. Les expérimentations sont généralement réalisées sur des sujets non familiers des hypertextes. Rouet (1992 a) observe, auprès d'élèves de collège, l'importance de l'adaptation à l'outil ; en effet, les stratégies mises en oeuvre par les élèves évoluent considérablement au cours des séances successives d'utilisation d'un même hypertexte. Pour cet auteur, il y a élaboration de conduites de lecture spécifiques, différentes de celles que les élèves ont élaborées à travers les situations de lecture de documents classiques. Quels résultats donneraient les expérimentations présentées si elles étaient réalisées auprès d'experts des hypertextes ?

2.2 Améliorer l'efficacité des outils hypertextes d'apprentissage

L'amélioration de l'efficacité des hypertextes ou des hypermédias dédiés à l'apprentissage peut se rechercher de deux manières différentes :

- déterminer quelles activités d'apprentissage peuvent bénéficier de l'outil hypermédia, à partir d'une analyse des conditions favorables à un tel apprentissage ;

- améliorer les outils existants et mettre au point des critères de conception.

2.2.1 Nature des apprentissages facilités par le recours aux hypermédias

Cette question est abordée par Tricot et Bastien (1996). Ces auteurs distinguent, dans les connaissances qu'acquiert un apprenant, les connaissances générales (celles que cherche à transmettre tout enseignant) et celles, locales, qui sont utilisées dans tel ou tel contexte. Selon ces auteurs, le rôle des hypermédias d'apprentissage n'est pas de chercher à « mimer » les associations que réalisent les apprenants mais de proposer à ceux-ci une organisation rationnelle des connaissances, fondée sur des liens qui ne posent pas de problème d'interprétation aux sujets.

L'appropriation de connaissances nouvelles passe par une restructuration. Cette restructuration est fonction des situations que ces connaissances permettent de maîtriser ainsi que des connaissances antérieures possédées par le sujet. L'intérêt des hypermédias d'apprentissage est de permettre de proposer, à partir d'un même ensemble de connaissances, des structurations différentes selon les buts que poursuivent les utilisateurs. Ceci nécessite un guidage qui consisterait à n'activer que les configurations utiles.


Les hypermédias ne semblent donc pas des outils appropriés à l'acquisition de connaissances générales mais seraient utiles pour la contextualisation de ces connaissances. On remarquera que ces auteurs préconisent non seulement de limiter l'emploi des hypermédias d'apprentissage mais également de restreindre les possibilité de navigation offertes aux apprenants.

2.2.2 Quels facteurs d'efficacité pour les hypermédias

De nombreux travaux sont consacrés à la recherche des facteurs d'efficacité pour les hypermédias. Là encore, la complexité de la situation à analyser conduit à des recherches très diverses, difficiles à comparer. Tricot (1995), dans sa revue de travaux sur l'ergonomie des interfaces hypermédias, propose une grille d'analyse basée sur la décomposition en cinq composantes du système opérateur - système d'information. Il distingue ainsi les composantes -et donc les axes d'analyse- suivants :

- l'activité du sujet,

- l'interface,

- la base de données, avec sa structuration,

- la représentation de la tâche,

- le modèle rationnel de la tâche.

En fait, l'importance des interrelations entre les différents sous-systèmes rend difficile le classement des travaux : la modification d'une caractéristique a, le plus souvent, des répercussions sur plusieurs sous-systèmes ; est-il possible, par exemple, de dissocier activité du sujet et caractéristiques de l'interface ?

Nous analysons principalement ici des travaux qui portent sur les interfaces. Cependant il nous faut tenir compte de la nature de la tâche et, bien évidemment, de l'activité du sujet.

Les modèles de la tâche

Nous n'avons pas trouvé de travaux portant explicitement sur ce point et notre découpage en « navigation à des fins d'apprentissage » et « navigation pour la recherche d'information » est aussi empirique que rudimentaire. Pourtant disposer de descriptions fines des tâches réalisées sur des hypermédias permettrait de déterminer les variables dépendantes pertinentes à utiliser dans les recherches et les analyses comparatives.

Selon Tricot (dans le même article), les hypermédias peuvent être utiles lorsqu'il existe des accès et des contextes différents pour une même connaissance, lorsque les buts sont flous et lorsque l'on veut se passer d'un langage d'interrogation. Reconnaissant qu'une telle description est encore bien vague, Tricot cite les travaux de Wright (1990) comme une ébauche de précision. Wright (qui semble se placer dans un contexte de recherche d'information) caractérise la tâche par deux facteurs croisés de complexité et de pré-connaissance de la cible. Sont également des facteurs importants le rôle des retours de l'ordinateur et l'impossibilité de définir une fin à la recherche ou d'expliciter un but à l'ordinateur.

L'activité de l'utilisateur

Selon Rouet et Tricot (Rouet, 1992b; Tricot et Bastien, 1996), cette activité est un cycle à trois phases :

- la sélection de l'information par sélection d'un noeud,

- le traitement de cette information,

- l'évaluation de la pertinence du noeud sélectionné.

La phase de sélection met en jeu un double processus : processus de gestion de l'activité et processus de traitement des informations relationnelles. La phase de traitement s'effectue au niveau local du noeud (compréhension du contenu du passage lu), mais aussi à un niveau plus global : l'apprenant doit évaluer si le passage lu contribue au but poursuivi et, dans ce cas, intégrer cette information à celles acquises aux cycles précédents. L'activité exigée de l'apprenant est donc plus lourde que dans un apprentissage linéaire. Les problèmes d'orientation et de charge cognitive des utilisateurs vont constituer des aspects importants pour l'évaluation des interfaces.

Interfaces et orientation : critères d'efficacité

Les problèmes de désorientation des utilisateurs sont massivement soulignés, aussi de nombreux travaux cherchent à préciser quelles fonctionnalités il faut proposer pour atténuer ce phénomène. Les travaux sont parcellaires et de divers types : les uns visent simplement à mettre au point telle fonctionnalité d'autres cherchent à comparer l'efficacité de plusieurs moyens d'orientation. Là encore, les différents travaux sont difficilement comparables et donnent des résultats parfois contrastés.

On présentera les différents moyens proposés, puis quelques études comparatives et enfin des recommandations de conception.


Quelques fonctionnalités pour limiter la désorientation des utilisateurs :

- les retours arrière

- les visites guidées

- les signets (bookmarks)

- les cartes conceptuelles

- les vues panoramiques (fisheye views)

- la mise en place de repères dans le sommaire

- la sélection, par l'utilisateur, des passages qu'il veut approfondir.

Monk (1990) distingue deux types de navigation: la navigation d'exploration et la navigation dirigée. Les cartes conceptuelles peuvent faciliter la première mais paraissent à cet auteur difficiles à comprendre lorsque l'hypertexte devient important. Pour améliorer la navigation dirigée, il propose un système de marquage des passages jugés intéressants. Ce système constitue un système de feuilletage personnalisé (personal browser).

Brown (1989) récuse tout intérêt aux cartes conceptuelles et autres navigateurs graphiques (graphical browsers)4

et cherche quelles fonctionnalités permettent de s'en passer. Il propose principalement la sélection, par l'utilisateur, des passages qu'il veut approfondir. Ces passages viennent s'insérer dans le texte courant affiché à l'écran et se donnent à lire quasi séquentiellement à l'utilisateur. Il propose également un système de retours arrière, d'historique de l'activité, de masquage de choix (pour des utilisateurs novices). Enfin, il recommande une organisation hiérarchique du matériel, organisation reprise dans un système de menus et sous-menus. Le domaine sur lequel porte le prototype qu'il construit est un guide d'UNIX.

Baron, Tague-Sutcliffe et Kinnucan (1995)

Ils testent l'intérêt d'un étiquetage des liens liés au contenu et définissent trois types de liens :

- sémantiques : tels que ressemblance, partie de, est une sorte de

- rhétoriques : définition, explication, illustration, continuation et récapitulation ;

- pragmatiques : mise en garde, prérequis, usages, exemples.

Les auteurs testent trois conditions expérimentales : l'une sans lien de contenu, l'autre avec les liens mais non étiquetés et la troisième avec les liens étiquetés.

Le domaine est un manuel de catalogage OCLC5 ; sa taille n'est pas indiquée mais les auteurs signalent que 362 liens de contenu ont été ajoutés.

Deux tâches sont demandées aux sujets : l'une d'exploration et l'autre de réponse à 13 questions basées sur 8 situations de recherche.

Après la phase de navigation, les réponses à 9 QCM et, pour la recherche d'information, le score, le temps utilisé, le nombre d'écrans vus servent de variables dépendantes. Enfin un questionnaire d'attitude est administré.

Les sujets sont 36 étudiants de sciences de l'information qui possèdent une connaissance du catalogage.

Les résultats sont décevants. Les liens sont peu utilisés, un peu plus en exploration qu'en recherche, un peu plus quand ils ne sont pas étiquetés que lorsqu'ils le sont. On observe cependant un meilleur score à la tâche de recherche dans la condition « liens étiquetés » ; dans ces conditions expérimentales, les sujets semblent également moins désorientés.

Simpson et McKnight (1990)

Ces auteurs effectuent une comparaison du rôle d'une table hiérarchique des matières avec celui d'un index alphabétique de contenu. Ils analysent, de plus, l'effet d'indices typographiques et de « marque-pages ».

Vingt-quatre adultes (soit 3 par condition expérimentale) participent à l'éxpérience. On leur présente un article de 2500 mots (24 cartes) sur les plantes d'intérieur. Lorsqu'un sujet a l'impression d'avoir tout lu, on lui représente l'article en lui demandant de répondre à 10 questions : les réponses consistent à cliquer dans le texte les détails spécifiques demandés.

Les variables dépendantes sont le nombre de cartes lues en première lecture puis pour répondre aux questions, le nombre d'accès à la table des matières, le score obtenu au tracé de la carte conceptuelle du domaine.

La table hiérarchique des matières conduit à une navigation plus efficace et à une plus grande précision des cartes conceptuelles que l'index alphabétique. Le marque-page comme les indices typographiques se révèlent sans effet. Il existe une corrélation entre la précision des cartes et l'efficacité de la navigation.

L'intérêt de ces résultats est limité par la petite taille du texte qui sert de base aux comparaisons.

Gaines et Show (1995)

Ils soulignent l'intérêt des cartes conceptuelles mais décrivent un outil d'élaboration de telles carte et ses usages possibles plutôt que des expériences d'évaluation de leur impact. Ils signalent d'ailleurs, incidemment, à propos de l'utilisation de ce type d'outil, un fait pointé par d'autres auteurs (Rouet 1992 a et b; Tricot 1995) : l'importance des différences individuelles.

Thüring, Hannemann et Haake (1995)

Cette recherche n'est pas une expérimentation autour des aides à l'orientation. Elle présente cependant l'intérêt d'aller au delà du constat de désorientation des utilisateurs en analysant les facteurs de difficulté que ceux-ci rencontrent et en proposant des principes de remédiation. Ces principes ne s'appliquent pas qu'aux traits de surface de l'interface mais ont également un impact sur les options et droits de navigation à donner aux apprenants.

Les auteurs prennent comme point de départ les constats classiques d'émiettement, de désorientation et de surcharge cognitive des utilisateurs et les recommandations faites aux concepteurs d'hypermédias d'apprentissage de veiller à la cohérence du contenu proposé, de fournir des moyens de repérage et de réduire la charge cognitive. Les auteurs mettent particulièrement l'accent, dans leur analyse, sur les facteurs de cohérence du contenu pour l'apprenant. Cette cohérence est, comme dans les textes linéaires, locale et globale mais elle s'exprime ici à deux niveaux : celui du noeud et celui du réseau que constitue l'hypertexte. Thüring, Hannemann et Haake proposent alors huit principes de conception d'hypermédias ; cinq visent à améliorer la cohérence, les trois autres à réduire la charge cognitive.

Parmi les principes de cohérence, trois visent à améliorer la cohérence locale, les deux autres la cohérence globale. Il convient :

- d'étiqueter les liens,

- d'indiquer les équivalences (lorsqu'un même noeud est présent dans plusieurs fenêtres),

- de préserver le contexte en montrant les noeuds voisins d'un noeud donné et leurs relations.

- de créer des unités de plus haut niveau d'information, les noeuds composites,

- de visualiser la structure en donnant une vue générale du domaine avec ses principaux sujets et leurs relations, par exemple au moyen de cartes conceptuelles.

Les trois derniers principes visent la réduction de la charge cognitive :

- fournir à l'apprenant des indicateurs de sa position, du chemin parcouru et des options possibles,

- fournir des indicateurs de direction et de distance,

- offrir une interface stable.

Les auteurs décrivent ensuite l'interface qu'ils ont développée ; sans détailler la mise en oeuvre de chacun des huit principes énoncés, on explicitera quelques caractéristiques de cet outil :

- l'écran est divisé en deux parties, elles-mêmes subdivisées en deux. La partie gauche de l'écran affiche la structure, la partie droite présente le contenu. Pour chaque partie, la fenêtre du bas correspond à l'état courant, celle du haut à l'état antérieur. Le nom du noeud courant est affiché dans une fenêtre à part.

- des fonctions de zoom sont proposées pour chacune des fenêtres `structure'.

- il existe deux modes de visionnement : un mode `cheminement' dans lequel la progression est soumise à des règles restrictives (on ne peut atteindre n'importe quel noeud à partir d'un branchement conditionnel mais seul un sous-ensemble est accessible) et un mode `exploration' où les noeuds peuvent être regardés dans n'importe quel ordre, mais où les liens n'ont pas d'impact sur la navigation.

- une charte graphique est proposée& ; différentes couleurs indiquent où l'on se trouve, d'où l'on vient et où il y a du nouveau.

- un `navigateur' permet à l'apprenant d'obtenir un historique de sa session. Il indique également le nombre de niveaux hiérarchiques présents dans le document et la position de l'apprenant dans cette hiérarchie.

L'analyse effectuée par les auteurs est intéressante mais, comme ils le notent d'ailleurs eux-mêmes, une évaluation est nécessaire.

2.3 Conclusion

L'efficacité des hypertextes et hypermédias d'apprentissage n'est pas évidente. Les principes de navigation, les fonctionnalités à proposer et les caractéristiques à donner aux interfaces nous sont encore peu connus. Les travaux menés montrent la complexité des problèmes plus qu'ils n'apportent de réponses :

- quelles tâches d'apprentissage bénéficient des hypermédias ?

- la tâche induit-elle des modalités de navigation différentes ? Et si oui :

- avec quelles différences individuelles ?

- pour quelle « taille » de domaine abordé ?

- quelles structurations du contenu faut-il proposer ?

- l'organisation hiérarchique est-elle la seule efficace ?

- comment faut-il présenter ces structures aux apprenants ?

-quelle mesure l'apprentissage de l'hypertexte lui-même permet-il de surmonter les difficultés ?

On n'en est actuellement qu'à une phase de tâtonnement. Les auteurs semblent s'être surtout intéressés aux problèmes de l'orientation des utilisateurs, aux fonctionnalités à leur proposer pour leur faciliter l'accès à l'information et le repérage. Ils ont par contre très peu analysé les moyens proposés aux usagers pour traiter cette information (traitement envisagé seulement en terme de surcharge cognitive), comme si un hypermédia ne pouvait qu'être consulté. Une analyse plus attentive des tâches et des activités mises en oeuvre devrait conduire à porter plus d'attention aux outils non seulement de consultation mais aussi de traitement des informations, des connaissances consultées et sélectionnées.

L'importance des questions posées et la variabilité des résultats réclament de nombreux travaux de recherche menés dans des perspectives complémentaires. Le plus urgent nous semble être une réflexion sur les tâches et, à ce sujet, le travail entrepris par Tricot et al. (1996) nous semble très intéressant.


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