NAVIGATION ET INTERFACES : CARTES CONCEPTUELLES ET AUTRES OUTILS

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PRESENTATION

Le développement des hypermédias et des bases de données de documents en texte intégral a créé des situations intermédiaires entre la recherche d'information et l'apprentissage d'un contenu. Ces situations possèdent en commun de faire appel à des activités de navigation.

Ces activités commencent à être étudiées par l'ergonomie et par les sciences de l'éducation ; l'aspect apprentissage est, dans ce cas, privilégié. Elles le sont encore peu par les sciences de l'information et c'est alors l'autre versant, la recherche d'information, qui est objet d'analyse.

On recense ici et on tente de comparer quelques travaux sur ce thème. Plusieurs raisons rendent cette comparaison difficile : diversité des disciplines dont ils sont issus, hétérogénéité des domaines abordés, variété des buts et des contextes fixés aux activités de navigation. A ceci s'ajoute la diversité des critères d'évaluation de l'activité de navigation. Les résultats, parfois contradictoires, auxquels conduisent ces travaux semblent peu généralisables. On peut cependant poser à leur sujet l'ensemble des questions qui suivent :

· quelles sont les pratiques de navigation, quelles activités cognitives les sous-tendent et quelles tâches permettent de les évaluer ?

· comment s'effectue la structuration du domaine exploré, comment faciliter cette structuration, quel rôle y jouent les interfaces graphiques ?

· sachant qu'une activité de navigation fait appel à au moins deux couches informatives (une couche documentaire et une couche conceptuelle), comment lit-on dans chacune d'elles, quels passages s'effectuent de l'une à l'autre ?


Ce sont donc de nombreuses pistes de recherches que nous suggèrent ces travaux.

L'activité de navigation peut prendre place dans des contextes assez différents. On en distinguera ici deux grands types selon qu'il s'agit de s'approprier un contenu ou de repérer et sélectionner des sources d'information. Dans le premier cas, l'objectif de l'utilisateur est un objectif d'apprentissage, d'acquisition de connaissances. Dans le second cas, l'acquisition de connaissances est un objectif beaucoup plus lointain et le but de l'utilisateur est de trouver de l'information sur tel ou tel sujet. Selon les cas, il s'agit des documents eux-mêmes ou de leurs références.

Ces deux situations de navigation constituent les pôles d'un continuum d'usages plutôt qu'une dichotomie et il existe toute une gamme de situations intermédiaires, telles que les situations d'exploration, dont la navigation sur le World Wide Web fournit de nombreux cas. Nous garderons cependant ici la distinction et répartirons dans ces deux grandes catégories les recherches consacrées à la navigation que nous allons analyser1.

Naviguer n'est possible qu'à travers une interface. Celle-ci est souvent envisagée comme une carte du domaine exploré, carte dont les « villes » seraient les concepts et les « routes » les liens entre ces derniers. La notion de carte conceptuelle est bien antérieure au développement des interfaces navigationnelles. Nous la présenterons tout d'abord en cherchant à préciser son origine et ses domaines d'utilisation. Nous analyserons ensuite deux séries de recherches liées à la navigation, d'abord dans un contexte d'apprentissage puis de recherche d'information.

1. Les cartes conceptuelles : historique et domaines concernés

1.1 Sciences de l'éducation et didactique des disciplines scientifiques

Les représentations spatiales de concepts sont anciennes (que l'on pense aux planches anatomiques, par exemple). Elles ont suscité un regain d'intérêt dans les années 80 et en 1984, NOVAK propose les « concept maps »2. Il s'agit, pour cet auteur, d'outils pour apprendre à apprendre. Elaborées pour et, souvent, par les élèves, elles sont surtout mises en oeuvre dans les domaines scientifiques.


De nombreuses représentations spatiales de connaissances scientifiques apparaissent à la suite des cartes conceptuelles : trames conceptuelles, réseaux conceptuels, Vee-diagrams, Vee maps, knowledge mapping ou K-maps, diagrammes conceptuels, etc. Nous avons choisi, ici, de nous intéresser aux « concept maps » de NOVAK. Elles sont basées sur une théorie de l'apprentissage -celle d'Ausubel- plus explicite que les autres ; leur méthode de construction est, elle aussi, plus explicitée ; enfin, le rôle de l'organisation hiérarchique est important. Nous en donnons une définition puis présentons leurs principes de construction et leurs usages.

1.1.1 Définition

Une carte conceptuelle est une représentation graphique (donc spatialisée) d'une base de connaissances déclaratives qui possède une organisation hiérarchique. Novak en donne la définition suivante :

« A concept map is a schematic device for representing a set of concept meanings embedded in a framework of propositions. » (NOVAK 1984, p.15)


1.1.2 Principes de construction

L'apprenant (et/ou l'enseignant) sélectionne les concepts pertinents dans un domaine de connaissances ; ces concepts sont souvent pris dans un texte. Il les hiérarchise du plus générique aux plus spécifique, liste les liens exprimés entre ces concepts (liens de causalité, consécution, inclusion etc.) puis, éventuellement, les liens transversaux.


Une carte se présente, par exemple, de la façon suivante :


(d'après Novak, op. cité)

Sur cette figure, les concepts sont encerclés, les liens hiérarchiques sont représentés par des traits et les liens transversaux par des flèches. Les liens sont dénommés. La carte se lit verticalement de haut en bas : en haut se trouvent les concepts génériques, en bas figurent les exemples. L'auteur insiste sur le fait qu'il n'existe pas une seule représentation juste mais que plusieurs sont possibles.

Une carte s'évalue selon sa richesse et son organisation. On lui attribue un score qui est fonction :

- des propositions prises en compte : liens établis et étiquetés entre concepts et validité de ces liens;

-l'organisation hiérarchique : nombre de niveaux hiérarchiques établis et organisation de ceux-ci, du plus générique au plus spécifique;

- des liens transversaux établis;

- des exemples proposés.

Novak fait observer que construire des cartes demande un apprentissage assez long (8 à 10 semaines environ) et que les élèves ont des difficultés à aller au delà des liens d'appartenance (liens de type est-un). Cette nécessité d'un apprentissage devra être prise en compte dans l'interprétation des résultats d'expériences rapportées dans les sections suivantes.

1.1.3 Usages

Novak considère les cartes conceptuelles non comme un outil d'apprentissage mais comme un moyen d'acquérir des procédures d'apprentissage, d'où leur nom d'outil métacognitif. Des usages différents sont envisagés selon que les cartes sont élaborées par l'enseignant ou par les apprenants.

Pour l'enseignant, elles permettent de visualiser l'articulation entre les concepts à enseigner.

Pour les apprenants, elles peuvent être un moyen d'expliciter ce qu'ils connaissent sur un sujet avant de l'aborder. Elles sont également un outil de synthèse après l'apprentissage. Enfin elles peuvent constituer le moyen de s'approprier le contenu d'un texte.

Les cartes conceptuelles sont, pour Novak, des bases de discussion et leur usage est plutôt collectif qu'individuel.

1.2 Sciences cognitives

Les sciences cognitives font également usage de représentations spatiales de concepts. Les réseaux sémantiques datent de la fin des années 60 et les graphes conceptuels des années 70. Les premiers sont surtout utilisés pour la représentation des connaissances expertes et de la mémoire sémantique, les seconds sont utilisés pour la compréhension du langage naturel. La représentation graphique des connaissances pose des problèmes: celui des formalismes à utiliser mais surtout celui des types de liens à prendre en compte (sorte-de, négation, rôles simples) se révèlent souvent insuffisants; il faut aussi tenir compte des modalités, des liens de type défaut, exception. Enfin, la manière de représenter les métaconnaissances pose également problème.

1.3 Sciences de l'information

Les sciences de l'information font, depuis longtemps, appel à des représentations spatiales de concepts avec les terminogrammes, les schémas fléchés des thésaurus graphiques. On a observé, à partir des années 60, un développement des thésaurus. Celui des thésaurus graphiques, cependant, s'est révélé beaucoup plus lent et limité ainsi que le montre ce diagramme de BERTRAND-GASTALDY et DAVIDSON (1986, p.228) :


D'autre part, les nombreux travaux suscités par les thésaurus ont porté sur leurs méthodes de construction mais n'ont pas pris en compte leurs usages, qu'il s'agisse de ceux des professionnels de l'information ou de ceux des utilisateurs.

· Selon certains auteurs, la consultation du thésaurus est l'une des stratégies de recherche des professionnels qu'il faut implémenter sur les systèmes destinés au grand public (par exemple CHEN et DHAR, 1991, avec METACAT). Mais comment les professionnels utilisent-ils le thésaurus ? Consultent-ils la partie alphabétique, les champs sémantiques ? Quelle est la forme de présentation la plus efficace ?

· On sait encore moins ce qu'en font ou n'en font pas les usagers. Il faut remarquer que, sur les premiers systèmes destinés au grand public, il n'y avait pas de thésaurus. On les voit réapparaître ensuite sur des cédéroms mais sous une forme dégradée, avec uniquement la partie alphabétique, et transposée directement de l'outilpapier, sans nouvelle fonctionnalité ni même d'adaptation. Si, plus récemment, des formes spécifiques, conçues pour les usagers, sont apparues (comme Topic de Search 97, par exemple), elles ne semblent pas avoir suscité d'évaluation de leur mise en oeuvre par les usagers.

Thésaurus et cartes conceptuelles présentent des points communs mais aussi des différences. Tous deux visent à représenter un domaine de connaissances et tous deux privilégient les relations hiérarchiques. Cependant, les thésaurus possèdent un caractère normatif que les cartes conceptuelles ne présentent pas. Loin de se vouloir « la » représentation de référence, celles-ci ont surtout valeur pour celui/ceux qui les créent. La question de leur lisibilité pour autrui ne se pose donc pas. Les tailles des domaines pris en compte, dans l'un et l'autre cas, ne sont pas non plus les mêmes : Novak fait figurer une vingtaine de concepts sur une carte alors qu'un champ sémantique comporte beaucoup plus de descripteurs. Par contre, les thésaurus font appel à un très petit nombre de types de liens, standardisés, entre concepts alors que les cartes conceptuelles ne les normalisent pas. On remarquera qu'une utilisation destinée au repérage de l'usager dans un domaine n'est abordée explicitement ni par les uns ni par les autres.

Après cette rapide présentation de représentations spatiales de domaines conceptuels, nous allons aborder les questions de navigation. Les problèmes d'orientation et de repérage, qui étaient restés peu prégnants, deviennent ici des questions prioritaires.


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