n°62

Economie de l'information : approche patrimoniale

de Thierry RIBAULT,

par Michael PALMER

Parvient-on, peu à peu, au moment où les travaux destinés à élucider le concept de l'information, menés par les économistes, d'une part, par les chercheurs en commu nication, de l'autre, vont se rencontrer, s'interpénétrer ? Question oiseuse, peut- être, mais que relance le livre - issu d'une thèse - de Thierry Ribault. Sa recherche porte sur « l'opportunité d'une approche économique spécifique de la valeur de l'information, en suscitant notamment des interrogations relatives à la nature et aux formes de matérialité de l'information » (p. 257). Le communicologue, lui, décèle une tentative de cerner les enjeux que re présentent pour l'économiste ces trois termes anglais distincts - « date », « news » et « knowledge » - et que re couvre, comme le remarque Philippe Bre ton, le vocable français d' « information ».

Afin de pouvoir démontrer la pertinence d'une approche patrimoniale de l'informa tion, Ribault analyse les apports des éco nomistes travaillant sur l'information, aux Etats-Unis et au Japon, mais aussi en Eu rope et en France. Son travail bénéficie, notamment, de recherches méthodolo giques développées afin de réaliser des en quêtes sur les marchés des services d'in formation électronique, et d'une collaboration avec l'Observatoire du mar ché de l'information (commission des communautés européennes) .

En France, la notion d'« industrie de l'information» émerge vers 1978-80 : la puissance publique (que symbolisera le rapport Nora-Minc, réalisé à la demande du président de la République) sera un ac teur beaucoup plus présent, dès le départ, qu'elle ne l'est aux Etats-Unis. Pourtant, la notion de « patrimoine informationnel » est présente dans un rapport d'une com mission fédérale états-unienne en 1977 :

l'information serait une ressource à valori ser, une ressource non moins essentielle que les ressources humaines, matérielles et naturelles (p. 258). Souhaitant proposer un nouveau cadre d'analyse pour les poli tiques publiques d'information, Ribault analyse à la fois la marchandisation de l'information et la marchandisation par l'information : l'économiste démontre que l'information n'est ni un bien public, ni un bien social ; elle n'est assurément pas une marchandise classique. Elle serait un bien patrimonial, dont la gestion reposerait sur les relations entre informations-support et informations-service, le support étant « la base ou la souche informationnelle à partir de laquelle vont être dérivés des services multiples » (p. 85). Ribault s'efforce d'identifier en somme le système de valo risation de l'information : on note, au pas sage, que, pour lui, les conditions spéci fiques de l'utilisation et de l'appropriation de l'information rendent difficile la réfé rence aux notions de valeur d'usage ou d'échange - si pertinentes, pourtant, pour tant d'analystes des industries culturelles - auxquelles il préfère celle de valeur d'utili sation.

L'ouvrage comporte trois parties, une conclusion, cinq annexes et des références bibliographiques. Les titres des trois par ties suggèrent l'économie générale de l'en semble : « l'information : une impossible marchandise ? » ; « l'information : un bien collectif ou un bien patrimonial ? » ; « la recherche d'une nouvelle légitimité pour les politiques publiques d'informa tion ». Les annexes - quelque soixante-dix pages - constituent, en soi, une lecture dense, claire et riche. Relevons, au pas sage, la place bien plus importante faite aux travaux de F. Machlup - sur la théorie des biens publics - qu'à ceux de M. Porat, portant sur « l'économie de l'informa tion » (1977), auxquels on fit pourtant tel lement référence - parfois abusivement - il y a quelque 10-15 ans en France, lorsque le débat sur l'informatisation de la société battait son plein.

Le communicologue trouvera surtout stimulant l'analyse portant sur les rapports de l'information avec le temps, et sur la pertinence de sa gestion aussi bien dans la prise de décisions que dans la conclusion d'opérations ou de transactions. Produit d'une mise en forme du réel, toute infor mation est partielle, subjective, destinée àfaire l'objet d'une remise en forme ulté rieure et indéfinie. L'éventuelle crois sance de la valeur de l'information avec le temps s'explique à la fois par son incom plétitude fondamentale et par sa perti nence sur des paris à l'avenir (p. 314). Afin de mieux pouvoir gérer l'incertitude, la « dés-intermédiation » se généralise, afin que les entreprises puissent bénéfi cier des nouvelles techniques d'accès et d'usage de l'information électronique pro fessionnelle. Un chassé-croisé se produit entre les acteurs en amont et en aval de l'industrie de l'information électronique. On retiendra ici l'exemple de l'agence Reuter, premier fournisseur mondial d'in formation financière (p. 76). Par sa poli tique d'acquisitions de sociétés présentes sur des secteurs avoisinants les siens - un intégrateur de systèmes, un concepteur de services en ligne, un fabricant de logiciels sophistiqués - Reuter acquit la maîtrise d'un éco-système informationnel (p. 76- 77). Ribault touche ici du doigt l'un des enjeux du débat sur l'accès à l'informa tion dite stratégique en temps réel.« Reu ter facture une partie de ses prestations sur la base des bénéfices potentiellement réa lisables du client ayant procédé à l' acqui sition de l'information diffusée » ; fixer le prix d'une information par rapport au montant de la transaction boursière qu'elle permet d'effectuer » signifie ou presque que la prise de décision est plutôt fonction de la possibilité d'accès à l'infor mation et de son coût que du montant de la transaction (p. 336).

Le préfacier de l'ouvrage, Serge Cham baud, insiste sur l'importance de la mar chandisation croissante de l'information et sur l'émergence d'une industrie de l'in formation, distincte de celle de la commu nication. « Distincte », peut-être, mais non pas dissociée - Thierry Ribault le dé montre clairement.

Thierry RIBAULT. « Economie de l'information : approche patrimoniale ». Collection NTD, à jour, 1993, 350 francs.

 

El cine en Cataluña.

Una aproximaciân histérica

par Pierre SORLIN

Le cinéma catalan est surtout connu, hors de la péninsule ibérique, pour le brillant essor qu'il a connu durant les années 60, quand l'Espagne s'est divisée entre une « école de Madrid » et une « école de Bar celone ». Les cinéastes eux-mêmes, et la critique, ont d'ailleurs eu leur part de res ponsabilité dans ce partage beaucoup trop radical entre deux soi-disant courants qui n'étaient pas, en fait, très différents l'un de l'autre. Le plus grave a été que l'apparition d'une « école de Barcelone » a éclipsé toute l'histoire antérieure des films cata lans et l'on peut remercier le Centro de In vestigaciones Film-Historia de Barcelone pour cette publication collective qui offre un premier bilan de près d'un siècle de cinéma.

La seconde moitié de l'ouvrage est un dictionnaire des cinéastes catalans où Magi Crussels et Jordi Sebastian ont réuni des filmographies complètes et un certain nombre d'indications biographiques ; au cun recensement de ce type n'avait été en trepris auparavant, il s'agit d'un très utile instrument de référence.

La première partie réunit, outre une brève interview de Josep Maria Forn, quatre études de fond. José-Maria Caparôs Lera, déjà bien connu pour ses travaux sur le cinéma espagnol, s'est lancé dans une recherche approfondie concernant la Cata logne. Il rappelle que le spectacle cinéma tographique a connu un essor particulière ment rapide : Barcelone était, au début du siècle, une des villes du monde où le nombre de fauteuils par habitant était le plus considérable ; en 1936, la Catalogne (avec l'Aragon et les Baléares) abritait un tiers des salles de spectacle de la Péninsule. Les premiers tournages eurent lieu dès 1897, mais ce fut la première guerre qui donna son véritable essor à la production, laquelle passa de 26 longs métrages en 1914 à 54 en 1916. La grande faiblesse de la Catalogne durant cette période initiale fut l'absence de scénaristes originaux. Les réalisateurs se bornèrent à reprendre des modèles importés d'Italie ou de France et la crise survint dès 1919 (seulement 9 films cette année-là). L'avènement de la République coïncida avec l'arrivée du par lant. Plusieurs compagnies, en particulier Orphea films, surent prendre le tournant et lancer des films dont la coloration sociale pouvait attirer le public : en 1936, la moitié des films espagnols venait de Barcelone. Un brillant début auquel le franquisme mit évidemment fin.
A peu près privée de production locale, la Catalogne ne disparut pas cependant des écrans. Rafael de Espafia éclaire un aspect peu connu de la cinématographie espa gnole, la présentation des Catalans dans des films madrilènes à l'époque de Franco. La vision est dans l'ensemble très positive, les Catalans sont présentés comme fiers, indépendants, aventureux et leur particula risme s'efface dès qu'ils sont face à des étrangers qui les font se sentir « espagnols » ; la tentative de charme était naïve mais elle ne manquait pas de quali tés techniques ni d'une certaine habileté dans la représentation des personnages. Revenir sur l'essor des années 60 dont on a déjà beaucoup parlé n'était pas simple et Xavier Ripoîl n'a pas eu assez de place pour renouveler le sujet. Dans le dernier chapitre, Antoni Rigol analyse La ciutat quemada, un film historique (1976) sur la crise du début du siècle, en particulier sur la grande grève de février 1902 ; l'énorme succès de cette oeuvre (plus de 400 000 en trées) lui semble un excellent indicateur de la revendication nationale en Catalogne.

Centro de investigaciones Films-His toria, 1993, « El Cine en cataluha. Una aproximaci6n hist6rica », PPU, Barce lone, 217 pages.

La Tribu des Clercs

de Rémy RIEFFEL

par Jean-Pierre BACOT

L' offrir à votre intellectuel(le) préféré(e) pour Noël ou le Nouvel An ? Pourquoi pas ? « La tribu des clercs » se consomme sans ennui et se digère sans difficulté. En effet, sous l'apparente froideur du pavé - 690 pages - par-delà l'ombre de Raymond Aron, malgré la distance que s'impose le sociologue et que ne saurait réduire la pos ture d'historien, Rémy Rieffel connaît trop bien le journalisme pour que la fleur de style n'éclose ça et là.

Aussi, révérence gardée envers cette thèse d'état des lieux, peaufinée jusqu'à l'élégance de la publication, posons qu'elle fait bien mieux que se laisser lire. Il s'agit pour l'auteur d'étudier les « fi hères d'accès à la cléricature » (p. 213), non point celle qui imposait le port de la soutane, mais celle qui nécessite l'épreuve de la soutenance. Si le vocable de « tribu » concède à l'air du temps, Rieffel n'abuse pas pour autant de l'effet de titre, en ce que les conséquences anthropologiques de cette étude des modes d'agrégation de l'in telligentsia française, si elles ne relèvent pas de son propos direct, ne le laissent vi siblement pas indifférent. Quant à l'effet de sous-titre, « les intellectuels sous la Ve République », il évoque directement les canons de la Science Politique. Nous sommes néammoins en présence d'une dé marche historique devenant, au fil des lieux revisités, une sociologie politique à horizon anthropologique.

Avant de se voir reconnu par ses pairs, par les médias, par les publics, explique notre auteur, un intellectuel français par court un chemin dont il n'a souvent ou ne veut avoir qu'une idée partielle, mais qui n'en est pas moins codifié.

Un maître plutôt qu'un autre à l'univer sité, une place dans les revues acadé miques, une présence à un rassemblement intello-mondain, une visite pré-électorale, ou pré-cooptative, le choix d'un éditeur ou celui d'une attitude face à une mode qui passe, un engagement socio-politique, au tant de moments importants et spécifiques que Rieffel détaille sans que sa distance n'affleure le mépris suicidaire. Ce qui constitue pour bon nombre d'étrangers un éternel sujet d'étonnement est pour lui l'occasion d'une reconnaissance et d'une géologie de ce terrain où s'effectuent les épreuves, avec en une garantie de qualité. Si, comme le genre le rend inévitable, les contributions sont fort inégales, la plupart des articles ont le mérite de conjuguer une information précise et le souci de dépasser la descrip tion positiviste pour développer une thèse, une réflexion.

Enfin, la présentation même de l'ou vrage mérite d'être mise en valéur. Les deux volumes sont aérés et enrichis d'une iconographie superbe (1). La mise en page et le rubricage ont fait l'objet d'un soin particulier qui - dans les limites de la ma niabilité d'un tel objet - permettent de re pérer assez rapidement des entrées, des liens entre objets. Une série de notices bio graphiques située en fin de volume offre en particulier des synthèses denses et ma niables. De ce point de vue, le « Dictionnaire » apporte au chercheur où à l'ensei gnant un outil de travail très appréciable, puisque, en quelques instants, un instru ment documentaire unique permet de véri fier une chronologie intellectuelle, de dis poser de données sur une nouvelle technologie, de mobiliser un état de la ré flexion pour améliorer une intervention pédagogique.

Ces mérites font-ils du « Dictionnaire » l'oeuvre définitive sur la communication ? Lucien Sfez ne revendique à vrai dire nulle part cette posture de juge en dernière ins tance. Mais l'ampleur de cette aventure éditoriale plaçait la barre et les risques très haut. Suggérons-le sans prudence exces sive, si l'ouvrage contient des richesses, les défauts de cette somme sont parfois à la hauteur de ses vertus et de son ambition.

Il serait facile, mais assez stérile, de pratiquer le jeu de la grève du zèle critique pour découvrir, malgré ces deux mille pages, les manques et les oublis. Des su jets comme la « communication locale » où les mesures d'audience auraient pu être abordées avec plus d'ampleur ; la sociologie des médias se voit accorder plus de pages. Le parti pris de sélection des biographies prêtera davantage à discussion puisqu'on trouve dans ces notices T. Ar disson et E. Chatiliez mais non N. Wiener, G. Debord ou H. Innis. Dans le même ordre d'idées, la coopération conjointe de professionnels et de chercheurs à la rédac tion de cet ensemble, pour constituer dans son principe une excellente démarche, revêt parfois des formes discutables. Lorsque, par exemple, les études de « Styles de vie » sont présentées par B. Cathelat, sans que ce plaidoyer pro domo suo soit contrebalancé par un éclai rage critique sur ces modèles d'analyse. Une plus forte présence de lectures venant d'historiens, une réintégration de la dimen sion du temps long font aussi défaut, pour réinsérer par exemple, dans le processus de construction de l'Etat, l'essor d'une centralisation des données et des informa tions disponibles sur le social (2).

Au-delà de ces imperfections, deux questions de fond méritent plus de recul critique.

Le risque structurel de la forme diction naire résidait dans l'émiettement, la frag mentation des savoirs et des analyses. Pour le conjurer, l'équipe de coordination avait ancré l'ensemble des approches à l'aide de forts articles de synthèse qui constituent la première partie de l'ouvrage. Or, sans as socier dans un jugement unique des textes divers, parfois très stimulants (R.-J. Ra vault), ce corps inaugural de réflexions nous semble le plus hétérogène, parfois le plus décevant de l'ensemble. Le lecteur amateur des romans de Michel Rio y est par instants tenté par un rapprochement sa crilège avec le scénario d'« Alizés » (3). Dans le roman de Rio, un mécène fait réa liser une encyclopédie extraordinaire en sollicitant les plus grands noms de la com munauté des créateurs... à contre-emplol (4). On ne verra pas dans le « Diction naire » J-P. Sartre rédiger quelques lignes sur la pratique du jeu de trictrac, mais une partie des textes inauguraux laisse le lec teur sceptique quant au choix des auteurs, ou la fécondité des éclairages mis en va leur. Brillante, la contribution sur « Presse et Opinion » est aussi superficielle et peu originale. Elle tend parfois à botter les pro blèmes en touche plus qu'à les traiter (5). D'autres textes apparaîtront comme peu consistants (« Communication et institu tion ») ; d'autres encore pour être stimu lants sont incomplets par rapport à l'objet retenu (« Aspects économiques »). En ayant conscience de manier la litote, on ajoutera que quelques contributeurs des textes qui ouvrent le recueil n'ont pas été obsédés par le souci de la clarté. Est-il per mis de le regretter ? De s'alarmer d'un processus - observable bien ailleurs qu'en quelques articles du « Dictionnaire » - par lequel une partie des sciences sociales se libère de tout matériel empirique, devenant un mixte de littérature et de discours sa vant, sans les charmes de l'une ni la ri gueur de l'autre ? En matière de petites proses précieuses, il n'est pas inconvenant de préférer celles - qui s'avouent comme telles - comme celle de P. Quignard, aux exercices de style sur « Temps du silence ».

Ces défauts sont loin de caractériser l'ensemble des textes du « Dictionnaire ». Le second tome apparaît comme beaucoup plus homogène et globalement de belle facture. Et l'équité contraint à dire qu'il serait possible - dans n'importe lequel des deux volumes - de fournir une solide liste d'articles de très grand mérite. Ceci ne mène qu'à regretter davantage le pari au dacieux mais inabouti qui fondait le ca drage initial des problématiques.

Une autre particularité du dictionnaire réside dans l' impressionnant investisse ment personnel de son maître d'oeuvre. Loin de se contenter d'une tâche, déjà lourde, de coordination, Lucien Sfez a ré digé une part substantielle des textes (près d'un tiers), est venu ponctuer de ses réflexions la majorité des grandes rubriques. L'inconvénient de ce parti pris est de don ner à bien des pages tantôt l'aspect d'un « remake » de « Critique de la communi cation », tantôt une dimension répétitive puisque les mêmes grilles (celle du tau tisme en particulier) font retour. L' appré ciation à tirer de ce constat peut varier. Il ne serait guère logique de reprocher à l'in venteur d'une problématique de prendre le risque d'en montrer la fécondité sur des objets divers. Sans ouvrir ici un débat sur l'oeuvre riche et multiforme de Lucien Sfez, suggérons que ses travaux sur la dé cision, l'égalité ou la symbolique politique nous paraissent appelés à mieux « vieillir » et à féconder plus durablement d'autres re cherches que ceux sur la communication. En effet, « Critique de la communication » nous semble trop solliciter, et avec moins de profit, des schémas d'analyse qui fon daient la réussite de « L'enfer et le paradis ». L'ouvrage accorde aussi trop d'attention aux problématiques de l'intelli gence artificielle et trop peu à celles issues de la sociologie des médias, fait la part belle aux vastes fresques, contre les dé monstrations minutieuses et étayées. Par tant de cette appréciation, la mobilisation intensive au sein des plages du diction naire, des élaborations issues de cette re cherche ne nous semble donc pas avoir que des vertus.

Entre la reconnaissance des réussites d'une ambition intellectuelle et de la den sité d'un outil documentaire d'une part, les doutes devant certaines orientations scien tifiques ou le très inégal mérite de diverses contributions, ce compte rendu ne man quera pas de donner l'impression d'un rou lis excessif dans la prise de position, voire d'une maladroite recherche de l'habileté, caractéristique des prudences (des hypocri sies ?) universitaires. Mais ces contradic tions valent d'abord comme la traduction de celles d'une oeuvre considérable, ca pable de susciter dans les séquences et moments successifs de la lecture l'excitation qui accompagne la découverte de problé matiques fortes et inventives, l'irritationdevant l'amphigouri, le plaisir et le confort de l'apprentissage de savoirs neufs et bien exposés, l'agacement que provoquent les tics de méthode ou l'abus des généralités solennelles. Une oeuvre d'une telle am pleur et d'une telle variété ne peut se resti tuer sur un mode monolithique. Le diction naire charrie dans son flot mille matériaux, du meilleur au plus contestable. A chacun d'y faire son menu, d'y entrer avec l'ambi tion d'être le lecteur critique d'une oeuvre de grande ampleur.

Dictionnaire critique de la communication. Sous la direction de Lucien Sfez, PUF, 1993.

Paper Tigers

de Nicholas COLERIDGE

par Michael PALMER

L'enquête dont est issu cet ouvrage débuta en 1985. A partir d'entretiens avec les in téressés et de sources essentiellement jour nalistiques, Coleridge - lui-même direc teur général du groupe Condé Nast, filiale du groupe américain Newhouse - présente des propriétaires de journaux, avant tout du monde anglo-saxon, mais aussi de l'Asie (sans inclure le Japon) et quelque peu de l'Afrique ; la période couverte s'étend donc de ce moment où Robert Maxwell, après des années d'infructueuses tentatives, parvint enfin à acquérir un groupe de presse conséquent (Mirror Group Newspapers, Londres, en 1984) aux débuts des années 90, lorsque ce même Maxwell disparut dans des eaux troubles. La période fut marquée par un capitalisme de presse permanent, mais dont l'interna tionalisation des flux financiers s'intensifia : partout, ou presque, la déré glementation des marchés de la presse se poursuivait, allant de pair avec la violation ou le contournement des dispositifs anti concentration, antimonopole ou « antitrust ». La rationalisation des indus tries de la presse s'effectuait à une époque où s'accentuait, à des cadences diverses, le développement d'autres médias - certains déjà « anciens », d'autres tout « nou veaux » - et où la modernisation des conditions de fabrication, de production et de distribution signifiait, à Bangkok comme à Birmingham, des changements majeurs, notamment pour les salariés des entreprises de presse.

Ce dernier aspect paraît peu dans Paper Tigers. Le patron de presse en homme d'affaires, en revanche, est la constante, le leitmotiv de ce portrait de groupe. A la tête d'un ensemble qui disparut encore plus ra pidement qu'il ne fut constitué, Ralph In gersoîl prit le contrôle au cours des années 80 de plus d'un titre par semaine pendant quatre ans. Citant Rupert Mur doch comme l'un de ses « modèles », In gersoîl fut, lui, le patron de presse le plus cité par ses pairs dans les entretiens obte nus par Coleridge. En effet, le critère de choix retenu pour cette étude des vingt- cinq « premiers propriétaires de journaux du monde » n'est autre que l'importance que leur accordaient les autres membres du « club ». De ce jeu des perceptions et re présentations, Coleridge tire prétexte pour présenter une assemblée où ne figurent que deux femmes - l'Américaine Katherine Graham (The Washington Post, Internatio nal Herald Tribune) et la Chinoise Sally Aw Sian (Sing Tao, Hong Kong Standard) ; les Anglo-Saxons dominent et, parmi eux, les Nord-Américains ; les Asia tiques sont plutôt nombreux et les Latino Américains totalement absents . Rupert Murdoch, lui, paraît être le plus à même à endosser les - nombreux - attributs de Mercure, mais a déjà failli finir comme le Colosse de Rhodes : il dut négocier un ré- échelonnement de ses dettes avec quelque 146 banques en 1990-1991.

La France, elle - tout comme l'Europe « continentale » du reste -' n'a presque pas de représentant dans ce club autodésigné ou coopté. Certes, Robert Hersant y figure, mais il aurait mieux valu qu'il n'y fût pas. Comme tant d'autres journalistes d'inves tigation, Coleridge ne put le rencontrer : il fut éconduit manu militari. Ce qui n'ex cuse ni les tournures malencontreuses - le chapitre s'intitule « The Menage of Figaro » - ni des erreurs factuelles qui laissent rêveur ; « Ciel, mon président ! s'exclame-t-on, lorsqu'on apprend que l'affaire de l'Observatoire, tentative de meurtre sur François Mitterrand, eut lieu en 1985 (p. 380). N'était-ce pas, plutôt, en 1959 ? La vision anglo-saxonne du cas Hersant, cependant, présente une certaine utilité. Coleridge appelle un chat un chat. En France, en juillet 1993, le groupe Her sant prit le contrôle des Dernières Nou velles d'Alsace grâce à un montage finan cier tout aussi complexe que ceux utilisés lors de ses acquisitions précédentes : les ministres et leurs services techniques, d'une part, les patrons concurrents, syndi cats et journalistes, de l'autre, s'évertuè rent ensuite à trancher sur le point de sa voir si oui ou non le groupe dépassait le chiffre fatidique des 30 %, c'est-à-dire le seuil légal anticoncentration de la presse quotidienne française, tous titres confon dus. Pour Coleridge, de telles arguties à la française reflètent simplement l' attitude interventionniste des gouvernements fran çais de tous bords ; Hersant contrôle 38 % du marché des titres nationaux, c'est moins que ce que contrôle Murdoch au Royaume-Uni ; les stratégies et les tech niques de gestion de Hersant n'étonnent nullement les autres tigres de papier (1). Par ailleurs, Hersant serait le seul proprié taire de journaux de l'Europe continentale dont le pouvoir soit à comparer avec celui des grands patrons de presse au Royaume- Uni, aux Etats-Unis et en Extrême-Orient. Vision internationale que l'actualité des médias ne cesse de rappeler. Ainsi, le 6 oc tobre 1993, le gouverneur de Hong Kong, l'un des derniers confetti de l'empire britannique, fit observer : « Quiconque s apprête à légiférer à propos de la concen tration multimédia ne peut agir de manière rétroactive, car où diable commencerait-on ? » (2). Raisonnement politique dont surent tirer profit Hersant en France, comme Murdoch au Royaume-Uni et- avec moins de succès - aux Etats-Unis (3).

Dans le tout premier chapitre de Paper Tigers, Coleridge esquisse ce qu'on pour rait appeler une typologie des grands pro priétaires - les dynasties patriciennes et les parvenus, les stratégies entrepreneuriales, ainsi que les perceptions qu'ils ont les uns des autres, tout comme les représentations qu'ils se font de leurs employés (rédac tionnels et autres). La partie anecdotique n'est pas négligeable et le portrait de groupe est plutôt flatteur. Ce n'est pas ici que l'on trouvera une analyse fine des stra tégies des transnationales de la communi cation. On s'étonne de certaines absences ; le groupe Gannett n'est guère évoqué ; pourtant, le quotidien d'information géné rale à rayonnement national, USA Today, qu'il lança en 1982, fut l'un des succès promotionnels des années 80, qu'imitèrent peu ou prou bien des journaux à travers le monde ; Allen H. Neuharth, patron du groupe, était un personnage assez haut en couleurs pour satisfaire aux critères de Co leridge ; mais il est vrai que Neuharth n'était pas lui-même propriétaire de jour naux. On s'étonne plus encore de voir comment ces « tigres de papier » ne sont pas tous étudiés comme des « bêtes de la jungle multimédia » ; si Murdoch assura Coleridge qu'il restait fidèle à son premier amour, les journaux, l'effort majeur de son groupe en 1993 porte sur ses intérêts au diovisuels - aux Etats-Unis, au Royaume Uni et en Asie. Ces réserves - et d'autres - faites, cet ouvrage est utile pour le cher cheur en communication, qu'il s'agisse des informations recueillies ou des représenta tions véhiculées. Il existait déjà une littéra ture importante - et de valeur inégale - sur les journaux « d'élite » ou « populai res » à travers le monde. Il y eut aussi, mais c est plus rare, des tentatives compa ratistes (4). Une certaine littérature anglo saxonne, due souvent à des journalistes, porte sur les « press barons » (5). L'ou vrage de Coleridge y a sa place. Mais l'es pèce possessor multimedia attend encore son Buffon.

Paper Tigers, Nicholas Coleridge [Heinemann, Londres, 1993, 592 p., £17- 99], ISBN 0643461405967.

 


La peur, la mort et les médias

sous la direction de Gérard MINGLET

par Pascal DAUVIN

La peur, la mort et les médias. De la liai son dangereuse de ces trois mots, l'Obser vatoire du récit médiatique (ORM) tire un ouvrage sur la nature et le rôle social des informations qui alimentent nos angoisses existentielles. Pour satisfaire cette entre prise ambitieuse, l'ORM entend mobiliser des approches plurielles, « que ce soit l'observation détaillée d'un média particu lier, à un temps donné, par le recours à des méthodologies issues de la philosophie, de la psychanalyse, de la sociologie, de l'an thropologie, par la lecture d'une rubrique journalistique précise, par le regard du créateur ». (6) Pour dire les choses autre ment, les différentes contributions de l'ou vrage forment un tout disparate, tant sur le plan des contenus que sur celui des re gistres d'écriture déployés (7). Cette hété rogénéité - qui n'est pas gênante pour le lecteur - est, par ailleurs, habilement maîtrisée dans une construction en quatre parties soutenue par un chapitre introductif et une conclusion qui assure la cohérence de l'ouvrage (8).

M. Lits, après un travail de définition sur la peur, montre que le rôle joué par la littérature est aujourd'hui relayé, voire remplacé, par les médias, qui, à travers une véritable mise en récit, réactivent et ex ploitent (commercialement et symbolique ment) le fonds immémorial de l'effroi (1ere partie). Après ce questionnement sur l'utilisation médiatique de la peur, B. Gré- visse repère les mise en scène du sida par le biais de la « rassurance », néologisme englobant à la fois le concept de sécurité, qui relève de la croyance subjective, et de la sûreté, qui regroupe les approches plus scientifiques de la maladie. Dans une pers pective comparable, F. Antoine dresse, à partir d'une étude systématique, une typo logie des représentations de la mort dans les journaux télévisés. De la même ma nière, G. Ringlet s'intéresse aux variations sémantiques de la mort et à leur fonction d'exorcisme dans les nécrologies (W par tie). Si le titre générique de l'ouvrage met en équation simplifiée la peur, la mort et les médias, plusieurs développements concernent la médiatisation de la violence et de ses rapports avec la peur. G. Derèze propose ainsi une lecture minutieuse de la presse pour comprendre la manière dont les médias rendent compte de la violence des supporters des matchs de football. Pa rallèlement, P. J. du Busquiel se concentre sur les récits d'agression dans deux jour naux et sur les représentations du monde qu'elles engendrent chez les lecteurs. B. Grévisse, J. C. Guyot, M. Lits se livrent autour des mêmes thèmes à l'analyse d'une enquête sur l'insécurité publiée par un quotidien belge ; leur regard porte sur le discours latent de la mise en page et sur le discours journalistique lui-même pour montrer, en s'inspirant d'une grille de lec ture élaborée par J. M. Ferry, comment ce qui est dit peut être porteur de valeurs sé curisantes ou sécuritaires (111e partie).

Si les analyses linguistiques, parfaite ment maîtrisées par les auteurs, n'appel lent guère de commentaires, l'ouvrage, pris dans son ensemble, peut susciter deux types de remarques. La première concerne l'appel à des registres multiples pour ap procher l'objet considéré. La seconde, plus critique, invite à s'interroger sur les limites de l'analyse du contenu pour comprendre les médias.

 

La pluralité des registres

La rhétorique universitaire s'accom pagne souvent d'une austérité qui flatte, au moins dans la forme, les exigences de « scienticité ». Sans abandonner, on l'a déjà dit, un usage canonique de la linguis tique, l'ouvrage en question met à mal cette austérité en proposant des intermezzi poétiques. A côté des discours sérieux, ar gumentés, rationnels, P. Edmond se saisit ainsi comme romancier et lecteur de faits divers de situations ordinaires qui balan cent entre sordide et tragique. J. J. Didier et M. Polackova découpent et collent le papier journal pour donner aux articles re cyclés une existence propre. Ce procédé ponctuellement utilisé ne grève en rien la qualité des développements, il signifie plu tôt les vocations multiples des auteurs, qui jouent dans les registres universitaires et artistiques (9). C'est aussi cette conjugai son de dispositions plurielles qui conduit les chercheurs-philosophes de l'université de Louvain à orienter leur travail dans des directions intéressées : « Cela n'empêche pas un jugement final dans la mesure où l'objectivité n'impose pas une neutralité fade. Il est certain que nos pratiques d'analyse sont toujours sous-tendues par cer tains choix éthiques et que ceux-ci transpa raissent dans notre discours. » (10) Même si l'absence d'interférence idéologique dans les sciences est un leurre, cette voca tion normative peut gêner les lecteurs fa miliers des regards exclusivement cliniques.

 

Les limites de l'analyse de contenu.

Les choix épistémologiques des auteurs relancent le débat sur la pertinence des analyses de contenu dans la compréhen sion des phénomènes médiatiques. Il ne s'agit pas, naturellement, d'invalider la fertilité heuristique de la méthode choisie, mais d'en discuter les limites. L'oecumé nisme méthodologique annoncé ne se ré vèle pas aussi stimulant qu'on aurait pu le penser. La perspective - réjouissante - de voir l'objet travaillé par différentes disci plines s'avère un peu vaine, car l'apport de la sociologie à l'étude des médias reste sous-exploité.

Les auteurs considèrent trop résiduelle- ment le mode de production de l'informa tion. L'analyse linguistique, quelle que soit sa qualité, n'intègre pas en effet suffisam ment les facteurs externes ; l'ORM pra tique un « médiacentrisme » (11) qui élude les réseaux, les intérêts et les contraintes qui encadrent l'activité journalistique. Sur ce terrain, on peut regretter que F. Antoine (12) évoque sans le développer - surtout quand il s'agit de la mort - le poids des contraintes économiques et de la concurrence dans les milieux de la presse. De la même manière, l'analyse des don nées techniques (matériel, montage...) n'est pas réellement prise en compte pour com prendre la nature de telle ou telle image (13). Toujours dans ce chapitre, peut-être eût-il été utile de distinguer le traitement de l'information en fonction des savoir- faire et de la formation des journalistes qui sont présentés comme un locuteur collectif alors qu'ils ne constituent pas un groupe homogène.

Sur le plan non plus de la production mais de la consommation de la peur et de la violence médiatisées, le constat d'insa tisfaction sociologique est identique. De vant la difficulté à mettre en place un pro tocole fiable (14), la tentation est forte de considérer que l'information contient en elle-même sa propre signification implicite et explicite. Le travail d'élucidation des rapports entre lecteur et message ne doit pas pour autant faire oublier que « le sens réel d'un discours, le seul qui vaille, celui qui est à même de produire des effets so ciaux, ne gît pas dans les profondeurs du contenu de celui-ci, mais dans les modali tés de son appropriation par le récepteur ». (15) Les analyses quantitatives ou les déve loppements sur le contrat de lecture (16), aussi intéressants soient-ils, portent en eux- mêmes leurs limites et rappellent, si besoin était, la nécessité de définir des outils plus performants pour lire cette appropriation des messages en général et des informa tions en particulier.

Ces commentaires ne doivent pas être compris comme un réquisitoire, mais comme une invite à mieux exploiter les apports de la sociologie, comme le sou haite d'ailleurs G. Dereze (17), même s'il constate, in fine, la difficulté à aborder un objet sur plusieurs fronts.

La peur, la mort et les médias, Obser vatoire du Récit médiatique, sous la direc tion de G. Ringlet, édition Vie Ouvrière, Bruxelles 1993

Vanités

Photographies de mode des XIX. et XX siècles

préface de Robert DELPIRE

par Françoise DENOYELLE

Dans le numéro 57 de Réseaux, nous re grettions l'absence de publications fran çaises consacrées à l'histoire de la photo graphie de mode. Vanités ne comble pas cette lacune (ce n'est pas la vocation d'un catalogue d'exposition, ni le propos de Ro bert Delpire) (1) mais souligne l'impor tance et l'intérêt d'un genre trop souvent méprisé par la critique photographique. Robert Delpire, une nouvelle fois, ne s'embarrasse pas des gloses d'esthètes en mal de conceptualisation dans les salons de prêt-à-porter de la pensée. Les histo riens auront tout loisir de montrer quel rôle, à l'égal de Brodovitch, Peignot, Vo- gel pour la photographie de la première moitié de XXe siècle, il a joué pour celle de la seconde moitié.

Présenté et revendiqué comme une oeuvre subjective refusant de céder à l'ac cumulation, le choix des vingt-cinq photo graphes (de 1860 à nos jours) en hérissera plus d'un. Pourquoi Honyngen Huene plu tôt que Horst ou Martin Munkacsi ? Ave done aux oubliettes avec Man Ray, Fran çoise Huguier négligée, Guy Bourdin coincé entre trois images alors que Lar tigue en compte six : le Mur des Lamentations ne manquera pas de visiteurs. Entre l'absence et l'éparpillement, Robert Del pire popose des choix qu'il n'a pas à justi fier dès lors qu'il revendique une subjecti vité signifiante plus qu'exhaustive. L'essentiel se situe moins dans l'exclusion de tel ou tel que dans l'opportunité et l'in térêt du sujet. Mais peut-on parler de sujet ? La photographie de mode, de Nadar à Franck Horvat, d'Erwin Blumenfeld à William Klein, dans un déploiement de codes, d'artifices, d'exigences techniques et de transgressions, d'impératifs et de profanations, montre assez bien qu'en pho tographie il n'y a pas de sujet mais seule ment des visions.
La photographie de mode, plus que toute autre, renvoie aux propos de Garry Winogrand : « Je photographie une chose pour savoir de quoi cette chose a l'air quand elle est photographiée. » Comman ditées par des magazines luxueux (Vogue, Harper's Bazaar, Vanity Fair, Le Jardin des modes, etc.), les oeuvres présentées dans Vanités ne sont pas au service de la femme, ni même des maisons de couture. Imagine-t-on un écrivain au service de sa maison d'édition ? L'une des voies de la photographie, c'est l'imaginaire. De la rê verie aux fantasmes, des « sandales avec talon à la française et boutons de strass », du Baron de Meyer, pour Vogue, (1919), p. 30, aux coulisses de Christian Lacroix par William Klein (1992), p. 126, la photogra phie de mode perturbe le temps, l'espace, sous prétexte d'exhiber et de cacher. Quoi de plus incertain, irréel, que les objets vi suels mis en scène dans les ateliers de Vogue ? Les images de Sarah Moon dans leur austérité hiératique, celles de Javier Valîhonrat, estompent les traces de maté rialité du vêtement, leur valeur d'usage, pour ne donner à voir que des mondes au tonomes. «Je photographie le privilège, la chimère, l'improbable ou la beauté », dé clare Sarah Moon. La photographie de mode n'évoque pas le réel, elle le convoque, le manipule, l'articule. Comme les jardins à la française, la photographie de mode est le comble de l'artifice. Il en a toujours été ainsi. Plus que les autres « genres » peut-être, elle incarne les spéci ficités du médium : reproductibilité (presse féminine, souvent dévalorisée) (2), rapport entre l'immédiateté (prise de vue) et la contemplation, écho visuel, trace qui ren voie à l' ambiguïté de toute réalité représentée, signifiée, figée, etc. Il est intéres sant de souligner que presque tous les au teurs des courtes monographies concernant les vingt-cinq photographes situent leurs artistes en dehors de la photographie de mode. Christian Caujolle résume d'ailleurs assez bien leur point de vue : « Javier Vaîl honrat n'est pas un photographe de mode. Comme la plupart des grands photographes "dits" de mode d'ailleurs » (p. 146). Cela n'est pas sans rappeler les circonvolutions de Balzac se faisant appeler Homme de Lettres, imprimeur, écrivain, mais surtout pas romancier. Les photographes ont moins d'états d'âme que les critiques. Une étude plus exhaustive montrerait que presque tous les seigneurs de l'objectif ont commis des images de mode, à un moment ou un autre de leur carrière et pas toujours pour des raisons alimentaires. Robert Del pire avec Vanités nous rappelle une nou velle fois que la fonction première de la photographie n'est pas d'être aux cimaises des musées. Ce n'est pas le lieu d'exposi tion qui détermine la nature, l'intérêt, l'im portance d'une oeuvre et lui confère le titre d'oeuvre d'art.

Vanités. Photographies de mode des XIXe et XXe siècles, par P. Dayan, R. Del pire, D. Edkins, R. Righini et J. Sagne.

Collection Photo-Copies, C.N.P., Paris, 1993, 148 pages, 320 F.


Errata : Quelques coquilles ont parsemé l'article que Myriam TSIKOUNAS avait consacré dans notre n°60 au livre de Pierre SORLIN "Esthétique de l'audiovi suel". Que les auteurs veuillent bien ac cepter nos excuses.

Quant à Mme Geneviève JACQUINOT, ci tée dans notre recension du n°5 de Média Scope (n°60), que son prénom lui soit rendu .