n°58

 

Trois ans plus tard

Toute tentative de se pencher sur la situa tion régnant en deçà de l'ancien rideau de fer ne relève pas de la condescendance. A preuve : ils sont plus de quarante à retrou ver au sein du reader d'Eurocréation le texte de leur intervention brève et ciblée Une manière de record. Le thème « Entre Etat et marché : audiovisuel et ci néma en Europe centrale et orientale ». Anne-Marie Autissier et Tristan Mattelari ont dirigé et assuré les synthèses de cette publication qui rappellera aux lecteurs de Réseaux un domaine plusieurs fois abordé dans nos colonnes. Ces actes des « Deuxièmes Rencontres Est-Ouest des professionnels européens de l' audiovisuel et du cinéma » qui se sont tenues à Vienne en mars 1992, constituent de véritables écrits et non de redoutables transcriptions et ont été actualisés jusqu'à la fin de 1992. Ils offrent dès lors un panorama complet des situations contrastées de l'audiovisuel en ex-Europe soviétisée. Diversité impli quée pour partie par la place des Occiden taux dans la restructuration des médias après leur démocratisation. D'où la ques tion qui traverse tout le recueil : colonisa tion dure par l'Est hier, molle mais pré gnante par l'Ouest aujourd'hui : qu'en sera-t-il de l'identité des cultures et des modes de diffusion dans cette Europe du milieu et d'un peu plus loin ? Ce futur est déjà à l'oeuvre, comme - et ces textes en témoignent - le rattrapage du retard à l' observation.

« Entre Etat et marché : audiovisuel et cinéma en Europe centrale et orientale » ; sous la dir. d'Ànne-Marie AUTISSIER et Tristan MATTELART, « Eurocréation », février 1993, 150 F.

 

Les images SHS

C'est l'ensemble du fonds cinéma et vidéo consacré aux sciences de l'homme et de la société que le CNRS présente dans le cata logue qui vient d'être publié par ses presses et qui devrait intéresser plus d'un chercheur. Trois cent vingt-sept docu ments réalisés entre 1948 et 1992 sont dis ponibles en prêt, 230 autres sont consul- tables. Une véritable mine à dominante ethnologique mais couvrant tout le champ des sciences humaines en ce qu'il est re présentable est ici parfaitement cataloguée. Un outil de travail pour pédagogue ou adepte d'un usage raffiné du magnétoscope. . .

CNRS Audiovisuel, 1, place Aristide Briand, 92195 Meudon, 1993.

 

Le Débat, le CNRS, les SHS, . .

Faut-il songer à séparer au sein de l'im mense CNRS les sciences humaines et sociales - siglées sans grâce : SHS - de leurs soeurs dites dures ? Projet considéré par beaucoup comme sulfureux mais que Jacques Lautman, ancien directeur des sciences de l'homme au CNRS, choisit de défendre dans le dernier numéro du Débat.

Maltraitées pour cause de scientisme de la culture ambiante, soumises à des contraintes de conformité inadéquates à leur objet, incapables de se faire entendre au niveau ministériel, les SHS n'ont plus selon Lautman qu'à s'en aller voguer sous leur propre pavillon, au sein d'un institut national dont il réclame la création.

Les réponses, sollicitées par l'exigeante et efficace formule de la revue lorsqu'elle lance de grandes controverses, sont large ment négatives, mais avec force nuances. Cela va d'un « tout petit oui » assorti d'un grand « mais » chez Michel Crozier à un « non » clair et net d'Antoine Danchin au nom de l'unité du centre et de l'esprit ori ginel de Jean Perrin, en passant par ce que Krzysztof Pomian considère comme un re mède qui serait pire que le mal, acte étant donné à Lautman du malaise qu'il analyse et dénonce fortement.

La revue dirigée par Pierre Nora et Marcel Gauchet annonce d'autres développe ments à ce débat chargé politiquement au tant que symboliquement et qui concerne au premier chef les milliers de chercheurs intégrés au CNRS ou oeuvrant dans le monde universitaire.

Autres questions traitées dans ce nu méro, tout aussi vives, la place du structu ralisme et son histoire, autour du livre de François Dosse, et celle de l'enseignement des mathématiques par Stella Baruk.

Sur un tout autre registre un dossier sur « l'actualité de la royauté » complète cette belle livraison qui se clôt sur un écho des controverses perdurantes, l'état de gas pillage, la Bibliothèque de France et l'édi tion en philosophie...

Le Débat, n°73, janvier-février 1993, Editions Gallimard, 82 F.

 

Médium, médiatisation, fanatisme

A picorer sans crainte dans la deuxième li vraison de JO, revue internationale de psy chanalyse, on trouvera à la fois de quoi justifier l'attrait pour quiconque s'intéresse à la communication au titre général (mé dium, médiatisation et fanatisme) et garnir le panier de l'honnête homme.

Quant au premier aspect, Jean-Luc Nancy conclut le premier des 19 articles de la revue par une notation accrocheuse :

« Le débat autour des médias sera bientôt complètement dépassé. Il n'est déjà plus très médiatique. » De tous les éclairs d'in telligence convoqués pour en dire tout de même quelque chose pendant qu'il en est temps, on notera qu'ils n'ont parfois qu'un rapport ténu à « l'analyse ». En témoigne l'intéressant regard de Marc Ferro sur le fonctionnement de son émission « Histoire parallèle » et l' interaction des images d' ar chives, des témoignages et du regard des historiens.

Sur un plan plus généralement éthique, l'impressionnant « Massacre et son désir au temps des premières guerres de reli gion » de Denis Crouzet participe d'un ka léidoscope où l'on trouvera des points de vue économique, juridique, sociologique, esthétique, sémiologique qui ne quittent ja mais un rapport à l'écran et à la mort. Une lecture à conseiller comme pratique de l'art du décalage, d'autant que le style, mise à part la présentation très maniérée, est sérieux et sans jargon. On en sort avec un pâle sourire.

« Médium, médiatisation et fanatisme », 10, revue internationale de psychanalyse, Edition ERES, 2e semestre 1992, 209 pages, 120F.

 

Si l'alligator...

Les auteurs avaient déjà traqué la rumeur dans un numéro de la revue Communica tions (52, 1990) dont nous avions rendu compte. ils récidivent chez Payot avec un vaste panorama ethno-j ournalistique de tout ce qui a pu courir et court encore de doux bobards vaguement crédibles, ser pents baladeurs ou femmes cuites aux UVA, « nouveau folklore de citadins pié gés par une modernité qui leur échappe ».

Une quarantaine de ces « légendes ur baines » sont détaillées par Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Bernard. Toutes ont circulé en France dans les vingt dernières années, rencontrées à la table fa miliale, à la cafétéria ou en fin de journal télévisé.

En réhabilitant des vocables usés mais scientifiquement toujours adéquats : « lé gende », « folklore », rendant compte de cultures réelles tout autant qu'informelles, les auteurs insistent à juste titre sur l'ambi valence de leur matériau. Plus réaliste que surnaturel est en effet leur référent, souvent plus vraie que fausse leur base de départ événementielle, aussi médiatisée que purement transmise par le bouche-à- oreille. L' archaïque et le savant interfè rent. Ce « traitement en mineur des constellations mythiques » réclame d'au tant plus d'attention qu'il est souvent sup posé avoir disparu avec le conte, la fable, et autres vecteurs de la civilisation pay sanne.

L'énoncé en est moins bref que celui de la simple rumeur, et moins structuré que le récit d'un fait divers. Royaume de l'entre- deux.

En résumé, il y eut bien un jour un crocodile dans les égouts de New York, au fin fond des années trente. Mais la ligue a tort, ligue informelle des propagateurs de sau riens. Elle a caïman tout faux. Ce qui n'empêche pas la légende de ramper dans notre infra-conscience. Authentique communication, par là-même digne d'étude et d'ici recension.

Véronique Campion-Vincent et Jean Bruno Bernard, Légendes urbaines, ru meurs d'aujourd'hui, Payot, 1993, 349 pages, 185 F.