n°56

 

PAR JEAN-PIERRE BACOT

Hommage à Neumann

L'incontestable influence du renouveau des sciences cognitives s'appuie sur des recherches au nombre desquelles celles du mathématicien américain d' origine centre- européenne, John von Neumann (1903- 1957), figurent au Panthéon.

Ce texte fondateur, aujourd'hui mis en forme, reprend le contenu de conférences écrites dans les années 50 et que von Neumann ne put jamais prononcer, frappé qu'il fut par la maladie.

Publié aux Etats-Unis en 1958, L'Ordi nateur et le Cerveau arrive seulement en traduction française, due à Pascal Engel.

La logique et la structure de cette ap proche nouvelle d'intelligence artificielle que constitua l'informatique et celles du cerveau (nature de l'influx nerveux, cri tères de stimulation, mémoire...) atten daient d'être croisées. C'est ce que fit von Neumann en une démarche qui devait conclure, au grand étonnement du lecteur profane, sur ce constat : la profondeur arithmétique et logique du réel est infé rieure à celle des mathématiques. Le cer veau est dépassable et, sur certains plans, dépassé.

Ce recueil de textes courts et denses de von Neumann est solidement encadré et si tué en perspective dans l'édition qu'en offre La Découverte. A l'avertissement de Jean-Michel Besnier et à la préface à ca ractère biographique de Klara von Neu mann, s' ajoute une postface passionnante de Dominique Pignon. Sous le titre : « Les machines molles de von Neumann », cette contribution a l'immense avantage d'inté grer en peu de pages l'apport à la théorie initiale des recherches intervenues depuis la mort, en 1957, du célèbre mathémati cien surdoué. Elle est doublée d'un appa reil de notes léger et précis. Rare.

Spécialiste de physique théorique à l'ENS et chercheur au CNRS, Pignon considère que von Neumann a annoncé « la naissance d'un nouveau triangle phy sique-biologie-informatique, fondement probable de l'épistémê des disciplines scientifiques du troisième millénaire ». C'est assez dire la place obligée de cet ouvrage dans toute bibliothèque de chercheur en communication. A moins que médecins du corps et de l' âme n'épuisent le stock...

*John VON NEUMANN. « L'Ordina teur et le Cerveau », traduit de l'anglais par Pascal ENGEL, postface de Domi nique PIGNON, La Découverte, 1992, col lection « Textes à l'appui »

La Vie avec objets mode d'emploi...

A qui s'adresse ce livre étrange ? Aux ergonomes, aux fabricants de fours à micro- ondes, aux lycéens perplexes devant leurs livres de chimie, aux metteurs en pages de revues, aux pédagogues, aux responsables d'associations de consommateurs ?

Les Mots pour le faire, recueil savant, dirigé par Marc Legrand et Dominique Boullier et préfacé par Marc Guillaume, est une dissection du « mode d'emploi », ce sésame souvent raté qui, soit « vous prend par la main au risque de vous prendre pour un idiot », soit, « à vous sup poser un savoir-faire déjà acquis, vous bloque au point que vous vous considérez comme un idiot ».

Intellectuel en diable et indétaillable, ce décryptage des fiches-recettes dont notre univers est envahi à chaque carton déballé a mobilisé en séminaire, puis, dans ce re cueil, une vingtaine de spécialistes. On lira avec intérêt la conclusion théorique qu'en tire Dominique Boullier sur le thème « Mode d'emploi de la panne et panne du mode d'emploi ». Qu'est-ce que comprendre aujourd'hui et, singulièrement, comprendre ce qu' il faut faire ? s' interroge le sociologue qui propose d'analyser la di dactique selon trois modes, le « faire sa voir », le « faire faire » et le « faire vouloir ». Vous savez ce qu'il vous reste à faire la prochaine fois que vous achèterez une bibliothèque en kit.

Les Mots pour le faire. Conception des modes d'emploi ». sous la direction de Dominique BOULLIER et Marc LE- GRAND, 1992, Ed. Descartes, 342 pages, 130F.

Réseaux/Sécurité

L'Institut des hautes études de la sécurité intérieure consacre le numéro 10 de ses « Cahiers » à la sécurité des réseaux. Les spécialistes convoqués s'attaquent au para doxe que constituent le croisement de dis positifs de plus en plus efficaces et le maintien des libertés.

Si l'utopie d'une sécurité absolue est démontrée (distribution d'eau, d'électri cité, gestion des réseaux téléphoniques, circulation ferroviaire sont étudiées suc cessivement), l' affaiblissement des risques ne dépend pas que de la technique. Ainsi appel est-il fait dans une seconde série de contributions à une action sur le comporte ment des usagers (sécurité routière, nou veaux systèmes d'information, réseaux in telligents).

La conclusion de G. Dupuy sur le fait qu'un réseau soit d'autant plus aisé à sécu riser qu'il est utile à tous et légitime solidi fie l'ensemble de cette réflexion.

Hors dossier, on trouvera dans ce nu méro une lecture croisée des points de vue que futurs magistrats, élèves commissaires de police et officiers de gendarmerie en formation portent sur leur noviciat respec tif, ainsi qu'une étude sur l'évolution de la notion de secret d'Etat au Royaume-Uni et un compte rendu d'Alain Ruellan du som met de Rio.

* « Cahiers de sécurité intérieure », n°10 (M. Guillaume ; D. d'Arras, A. Doulet, L Joseph, P. Carenco, G. Amar, B.fttu ralde, J. Vincent-Carrefour, V. Roche,

*G. Dupuy, R. Lenoir, A. Ruellan, K. -G. Robertson) diffusé par La Documentation française.

 

Ethnologie/présent

Enrichissante livraison que cette « ethno logie du présent » publiée par la Mission du patrimoine ethnologique et qui intéres sera au premier chef les lecteurs de « Ré seaux » au travers de l'article de Clara Gallini sur le « rituel médiatique ».

En prélude au dossier de notre prochain numéro (et en postlude du « Point sur » paru dans le précédent), l'analyse de Christian Bromberger du spectacle foot ballistique complétera harmonieusement les lectures économiques et sociologiques dont nous avons l'habitude.

Mais, au-delà de ces deux éclairages, la nouvelle position de ce courant d'ethno logues dirigés vers l'ici et maintenant dé termine de nouveaux objets qui promettent de passionnantes lectures interdiscipli naires.

L'attitude résolument pédagogique des contributeurs de ces « Cahiers » est une invite à ne pas rester sourd aux mutations d'une discipline qui, après de long voyages, s'en viendrait vivre entre les siens le reste de son âge.

Gérard Althabe, Daniel Fabre et Gérard Lenclud ont dirigé la mise en textes de ce nouvel angle de vue.

Vers une ethnologie du présent », collection « Ethnologie de la France », cahier 7, sous la direction de Gérard Al thabe, Daniel Fabre et Gérard Lenclud, Editions de la Maison des sciences de l'homme, 1992.

 

Post-néos - Il était une fois les modernes.

A l'heure où, à côté des cursus traditionnels des sciences humaines, les formations en communication se multiplient dans le milieu universitaire, on ne saurait trop conseiller aux enseignants-chercheurs comme aux étudiants le bilan que Christian Ruby a tiré de la polémique post modernes/néomodernes qui marqua large ment les années 80.

L'état des idées que trace ce philosophe rationaliste et curieux parcourt ces deux paradigmes opposés à travers l'épistémologie, la sociologie, l'architecture, la pein ture, insistant particulièrement sur l'apport central de Vattimo et Lyotard côté post modernisme et d'Habermas, côté néomodernisme. Remarquablement argumenté et doté d'un appareil bibliographique fort bien dimensionné à l'essentiel, cet essai permet de se repérer dans une tension qui continue de traverser le champ intellectuel occidental.

Quant à l'impossibilité des deux fa milles « post » et « néo » à proposer du politique, de l'action, voire une direction esthétique, l'auteur en fait sa conclusion sceptique, appelant à une nouvelle mise à plat de la dialectique différence/contradic tion dont on aimerait qu'il nous en offre les premiers fruits dans un prochain ouvrage.


Christian RUBY : « Le Champ de bataille - Post-moderne/néo-moderne », L'Harmattan, collection « Logiques sociales », 1990.


Wiener et son ancien espoir

Il n'est pas nécessaire, bien au contraire, de sortir une arme offusquée à chaque fois que résonne le mot vulgarisation. Philippe Breton sait être bon vulgarisateur, et c'est un bienfait pour la mémoire de l'honnête homme en général et celle de Norbert Wiener en particulier.

Le véritable inspirateur de la révolution dite « communicationnelle » fut ce mathématicien américain dont l'oeuvre est aux yeux de Breton encore trop méconnue. En présentant la recherche d' après-guerre de Wiener, l' auteur de L 'Histoire de l 'infor matique et de la Tribu informatique prend ses distances quant à l'utopie libératrice qui l'accompagnait.

La transparence, le consensus, le tout- média fonctionnent aujourd'hui comme l'unique représentation du futur que l'on ait à se mettre sous la dent. Comment cet espoir a-t-il pu naître avec Wiener, com ment est-il en train de s'éteindre ? Breton, qui affirmait dans un précédent livre que la communication était devenue une idéolo gie substitutive, nous prévient : il va falloir trouver autre chose...


*Philippe BRETON : « L'Utopie de la communication - L'émergence de l'homme sans intérieur », La Découverte, 1992.

 

Une nouvelle revue

La libéralisation des services de télécom munication au Royaume-Uni, l'obsoles cence de la vie politique face au poids de la logique marchande, l'histoire des sys tèmes d'alarme contre le feu et de la socia bilité téléphonique aux Etats-Unis, le rôle croissant de l'informatique dans les re structurations d'entreprise au Japon, le re nouveau des concepts de la géographie face à la diffusion des technologies de communication...

Derrière l'apparente hétérogénéité de quelques-uns des sujets traités dans de ré centes livraisons de la revue FLUX, appa raît un thème fédérateur : les réseaux. Pour les animateurs du Groupement de re cherche « Réseaux » du CNRS, qui publie ces Cahiers scientifiques internationaux Réseaux et Territoires, il s'agit d'étudier le développement et le fonctionnement des ré seaux techniques (transport, télécommuni cations, énergie, etc.), désormais omnipré sents dans nos sociétés, et d'analyser leur influence sur l'organisation de l'espace, le fonctionnement des firmes, la vie urbaine...

FLUX paraît chaque trimestre, alternativement en français et en anglais. Dans une perspective interdisciplinaire et inter nationale, la revue publie des textes de géographes, d' éconpmistes, de socio logues, d'historiens. Faisant le point des recherches et de l' actualité scientifique, par des articles de fond, des entretiens, des comptes rendus d'ouvrages et de col loques, FLUX s'adresse non seule ment aux chercheurs et aux universitaires mais aussi à tous ceux - responsables politiques et administratifs, professionnels des entreprises, journalistes, en seignants. . . - qui désirent mieux comprendre les modalités et les enjeux de cette « mise en réseau » de la vie économique et sociale.


*FLUX : Cahiers scientifiques interna tionaux Réseaux et Territoires. Diffusion :

*La Documentation française, périodicité trimestrielle, français/anglais, 210 x 297, 64 p., abonnement annuel 400 F.