n°55

 

 

 

PAR JEAN-PIERRE BACOT

De la culture et de son sens (perdu).

A partir d'une solide expérience professionnelle - il a été comédien, metteur en scène et directeur de l'une des maisons de la culture -, Jean CAUNE s'est attaqué à la tension qui s'est désormais installée (et dont nous noterons en toute banalité assumée qu'elle existe également dans la problématique télévisuelle) entre l'action culturelle chère à Maîraux et les fonctions aujourd'hui assignées à l'entreprise culturelle.

S'agit-il d'un dépérissement ou de l'annonce de formes nouvelles ? Il semble bien que les deux modèles coexistent et s'interpénètrent, mais au profit croissant du second.

En privilégiant l'expérience théâtrale, Jean CAUNE tire un bilan argumenté d'un quart de siècle militant, explique son agonie, démontre la perte de sens qui s'ensuit, et n'en peut mais.

Une sorte de tombeau, au sens second du dictionnaire - comme celui de Couperin. Travail de demi-deuil.

*Jean CAUNE, préface de Jacques « La culture en action. De Vilar à Lang : le sens perdu ». Presses universi taires de Grenoble, 1992.

 

Du passage à l'acte éditorial des sciences humanoides.

Quelque part dans un entre-deux, dont une équipe d'Argonautes a décidé l'exploration. Nous sommes en un monde limité « par la science et l'argent », « le temps long et le temps court des modes du commercial ». Nous sommes dans le champ que nous labourons nous-mêmes : l'édition des sciences humaines.

Dominique DESJEUX, anthropologue et directeur d'un laboratoire (Argonautes) de conseil en sciences humaines appliquées au management, Isabelle ORMANT, de la même tribu, et Sophie TAPONIER, également des Argonautes, mais ethnologue, se sont attaqués aux pratiques éditoriales, à l'attitude des acheteurs et à l'ensemble des médiations qui relient l'auteur spécialisé à son lecteur. Etude de terrain, puisque quinze parcours ont été pris en compte pour cette « mise en scène des sciences de l'homme et de la société », quinze manuscrits qui tentaient leur chance, issus de disciplines variées, de l'archéologie à l'ethnopsychiatrie.

Un regard lucide sur les filières éditoriales du petit tirage de matière grise qui intéressera quiconque s'est un jour retrouvé perdu dans ce maquis.

*Dominique DESJEUX, Isabelle OR MANT, Sophie TAPONIER. « L'édition en sciences humaines. La mise en scène des sciences de l'homme et de la société ». Ed. L 'Harmattan 1991. Coll. « Les dossiers ».

De l'antimédiatisme primaire.

On pardonnera à l'auteur, sociologue à l'Université catholique de Louvain, de reprendre pour la énième fois et sans la vérifier, la pseudo-citation de Maîraux quant au XXIe siècle, qui serait..., etc.

La volonté de GRITTI de tordre le cou à un autre lieu commun, le célèbre « C'est la faute aux médias », le rachète. En introduisant des éléments de lecture des phénomènes à l'oeuvre, puisés dans le temps long, l'auteur est par exemple conduit à repérer dans la gestion médiatique de la guerre du Golfe un retour de schémas primitifs.

De fait, les médias façonnent beaucoup moins l'information que l'on aime à le croire, mais ils influent sur le style d'une époque où règne l'éphémère.

S'il faut dans la perspective de veille spirituelle qui est la sienne, faire feu de munitions ignaciennes, c'est, selon GRITTI, sur le siècle et non sur ce qui le révèle. Et s'il convient de comprendre ce qui se passe dans la « mana » du fait divers ou la généralisation du star-system, autant se dire d'entrée de jeu que cela ne date pas d'hier et qu'il n'y a donc guère de poudre à réinventer. Quant au véritable inventeur de la dite, GRITTI a fait son choix et le proclame.

*Jules GRITTI. Feu sur les médias. Faits et symboles. Le Centurion. Collection « Fréquences », 1992.

 

De la presse en quelques chiffres.

Dans le style des « points-sur » chers à notre revue, le Service Juridique et Technique de l'Information diffuse un bilan précis et resserré des statistiques de la décennie en matière de presse écrite. Tableau morose, puisque seule augmente la recette des ventes. La diffusion, la recette publicitaire et le chiffre d'affaires total de la presse ont baissé entre 1990 et 1991, inversant des courbes qui, depuis dix ans, marquaient une hausse constante, sauf pour ce qui concerne la diffusion, toujours stagnante.

Ces chiffres clés par catégorie de presse et type de périodicité sont de véritables indicateurs de société, propres à conforter les analyses sociologiques. Tandis que tout ou presque s' érode, la presse féminine, les journaux TV, les publications sportives gardent le vent en poupe. Tout cela en douze pages d'une clarté exemplaire.

*SJTI Editeur, 1992. Chiffres clés de la presse. 1982/1991.

 

De l'existence du local en télévision

C'était au temps où le local était censé trouver son dernier souffle dans les télévisions dites de proximité. Les militants de cette cause honnête en firent, comme il est très normal, l'objet d'un grand colloque. Il se tint à Beauvais en novembre 1990. Les actes en parurent et la revue « Territoires » s'attache aujourd'hui, sous la houlette de François Poulle, à en tirer les leçons. On peut y voir la poursuite d'un espoir ancré dans les avancées enregistrées en Europe du Nord. On peut aussi contempler une série de prototypes perdurants - chacun se fera son idée. Pierre Musso, dans le même numéro, a la sienne : « La télévision régionale n'existe pas », tout au plus, y a-t-il de la « télévision en région », en modèle réduit.

Sous un aspect volontariste, ce dossier apparaît finalement d'un pessimisme noir à qui garde en mémoire l'état des lieux du non-programme local.

On s'en consolera avec l'excellent coup d'oeil publié dans ce même numéro, sous la signature de Jean-Paul Simon, sur les 83 000 types de gouvernement aux Etats Unis, qui met en exergue l'émergence de districts ad hoc, supracommunaux et agissant comme de quasi-entreprises sur le marché financier.

*Télévisions de proximité. n°328 de la revue « Territoires » (mai 1992) 43 F.

 

D'un pamphlet très français

Il était une non-foi (d'ntellectuel) ; celle d'un mathématicien qui pamphléta dans sa spécialité, prouvant qu'elle n'existait guère (1), puis sortit de son champ de chiffres pour s'attaquer à rien moins que l'intelligence (2), qualifiée de « passion honteuse ».

Didier Nordon poursuit dans son opus III sa quête de lucidité acide en s'en prenant à la croyance de l'intellectuel, c'est-à-dire, vulgairement traduit, à ce qui le fait marcher, tout en lui permettant de nous faire marcher.

En fait d'intellectuels, il y a, entre autres classements possibles, deux catégories dans l'espèce : celle des distanciés qui prendront sans trop de honte plaisir à cette prose pétillante, sérieuse et dérangeante, et celle des crispés du savoir qui jetteront un oeil soupçonneux et n'auront « pas de temps à perdre » à parcourir des pages décapantes.

Mais le pamphlet a ses lois et ses risques. Dans sa partie de tir aux pigeons scandée en courts chapitres, Nordon baigne dans un relativisme qui ne laisse guère in fine que le plaisir très oriental de liconoclastie totale. Cultivé, percutant. Sganarelle, il se retrouve dans l'inconfortable position d'un bouffon privé de prince.

(1) « Les mathématiques pures n'existent pas », 1981. Actes Sud.
(2) « Intelligence, passion honteuse », 1990. Le Félin.

*Didier Nordon. L'intellectuel et sa croyance. L'harmattan Cou. « Logiques sociales », 1992.