n°54

 

Par Jean-Pierre BACOT

Images pieuses

La plupart des films réalisés dans la prime jeunesse de l'Union soviétique ont aujourd'hui disparu, par le double fait que les copies-nitrate se conservaient fort mal et que le goût de l'archivage de ces produits fugaces ne vint que plus tard aux spécialistes.

Myriam Tsikounas, qui a entrepris de recenser pour sa thèse les oeuvres des années 1918-1935 réalisées aux confins muets de la culture tsariste perdurante, de l'agit-prop chaudement recommandée par Trotski et des recherches formelles, estime à 10 % Pierre Sorlin le souligne dans la préface le corpus accessible au chercheur. Quant à ce qui pourrait alimenter une cinéphilie élargie, des travaux immenses et coûteux seront nécessaires pour que des copies puissent circuler.

L'usage social et politique du cinéma que l'auteur cherche à faire revivre a été peu étudié, malgré les nombreuses analyses qui ont enrichi la connaissance que l'on pouvait avoir d'Eisenstein, Trauberg, Konintsev ou Vertov. En remettant les oeuvres en situation, depuis les mythiques Potemkine ou Nouvelle Babylone jusqu'aux films de série totalement oubliés avant leur exhumation (86 opus visionnés image par image et résumés à la fin de l'ouvrage), M. Tsikounas remet également à leur place bon nombre d'historiens et sémiologues du cinéma. Dans une perspective historique et non esthétique, elle resitue les films désormais classiques qui entendaient « monter à l'assaut du ciel » en une perspective révolutionnaire homogène. Une série parmi d'autres dans ce que les peuples de « toutes les Russies » aujourd'hui indépendantes purent visionner jusqu'à ce que le règne de Staline et l'évolution de la technique imposent un autre cinéma, qui lui, sauf relecture à venir, apparaît au regard de celui des origines d'une insondable platitude.

Le premier cinéma soviétique n'est donc désormais plus réduit aux dix-sept classiques de cinémathèque chers aux tenants d'un léninisme immaculé et aux traqueurs des dernières traces de blanche russité. D'autres copies seront sans doute sauvées de ce qui fut incontestablement un moyen de communication de masse et qui mérite désormais d'être étudié dans sa pluralité de niveaux à la lumière de ces « changementsd'éclairage qui mettent l'accent sur les détours, les hésitations et les réévaluations constantes de l'Histoire.»

Nouveau corpus pour un travail de deuil sur les images animées et muettes d'une autoreprésentation sauvée de l'autodestruction par le tomber de rideau.

.Myriam Tsikounas. Les origines du cinéma soviétique. Un regard neuf Préface de Pierre Sorlin. Cerf coll. 7e Art. 1992. 119 F.

 

Chromo

Michel Pastoureau, directeur d'études à l'EPHE, est spécialiste de l'histoire de la symbolique occidentale.

Après une liste impressionnante de publications aussi érudites que plaisantes (1), il propose aujourd'hui une analyse de la fonction toujours active des couleurs dans les sociétés contemporaines.

Petits extraits du dictionnaire : « (...) en France, les croix des pharmacies sont vertes ; en Italie, elles sont rouges. Pourquoi cette différence ? (...) ». « Les jeunes femmes européennes ne se sont pas toujours mariées en blanc. C'est même une mode qui n `est pas antérieure à la fin du XVIIIe siècle (...). »

Que vous soyez ou non au nombre de ceux qui affirment préférer la couleur bleue, majoritaires absolus, ou membre de la minorité à 10 % des rouges (les verts sont pointés à 20 % et les jaunes inexistants), anthropologue patenté ou simple lecteur de plage, ce petit bonheur d'écriture polychrome se doit de figurer dans votre bibliothèque. Quitte à ce que vous ne puissiez plus sucer un bonbon à la menthe ou déguster une bière sans que se déclenche un processus explicatif propre à faire rire rouge, piquer une colère verte, ou noircir de confusion ceux qui ne manqueront pas de vous objecter : les couleurs, c'est comme la communication, on y met ce qu'on veut.

*Michel Pastoureau. Dictionnaire des couleurs de notre temps. Symbolique et société. Editions Bonnetau - 1992.

(1) Cf : « L'Hermine et le Sinople. Etudes d'héraldique médiévale (1982) « Le cochon, histoire, symbolique et cuisine de porc .(1987)« L'Etoffe du diable, une histoire des rayures et tissus rayés (1991), etc


415.636 feuillets, sans le supplément

Autoportrait d'un saint laïque, explication d'une impossibilité conjurée, analyse d'une pratique extrême de l'écrit, on ne sait comment qualifier ce petit texte que Emile LITTRE composa au soir de sa vie, après quinze années de labeur acharné dont sortit le « Dictionnaire de la langue Française ».

Menaces sur les monceaux de papier, par l'émeute, l'incendie, la guerre ; menace de la mort qui guette, de l'argent qu' Hachette, Jean-Christophe, le fondateur des Editions, l'ami, dispense parcimonieu sement ; la tension est extrême.

L'analyse fière et minimale que Littré livre de sa propre pratique renseigne, en tout état de la cause positiviste qui lui fut chère jusqu'à la dérive mystique d'Auguste COMTE, sur la rencontre du projet d'un homme, projet intégral s'il en fut, et de la logique accumulative d'une société.

En reprenant dans un luxueux format de grande poche de petites textes mémoriaux (la collection « Guillemets ») Harmonia Mundi qui diffuse cet éditeur fait entendre, et cela n'est pas simple habillage, la musique d'une époque et, dans ce cas, le chant patient d'un bénédictin auprès duquel tous les dévoreurs de données ne seront jamais que de pâles enfants de choeur.

Emile Littré. Comment j'ai fiat mon dic tionnaire (1880). Préface de Jacques Cellard, augmenté d'un texte de Pierre La-rousse (1864) Editions Bernard Coutaz 1992.

 

L'Aquitaine communicante :

Une quinzaine de chercheurs emmenés par André-Jean Tudesq, à l'université de Bordeaux-III viennent d'achever et de publier les résultats d'une étude portant sur « l'évolution des systèmes de communication en Aquitaine ».

Quatre thèmes sont successivement passés au crible :

- la communication des institutions politiques et des collectivités locales, après une decennie de décentralisation ;

- les activités de communication professionnelle, que ce soit dans le secteur public, notamment dans la mouvance de l'éducation nationale, ou dans les entreprises privées ;

- la communication médiatique (presse, radios, télévision, vidéothèque, télématique, analyses d'audience) ;

- « médiateurs » et médiations en région avec une plaidoirie pour la création d'un observatoire.

On trouvera en annexe des éléments bien documentés concernant la stratégie de communication des entreprises d'Aquitaine, les politiques municipales en ce domaine, un état des lieux et une histoire locale de la bande FM, ainsi qu'une présentation d'un système d' information hypermédia.

Dans un registre identique, Albert Mabileau, professeur à Bordeaux-III, s'est attelé aux côtés de ce même André-Jean Tudesq à la présentation d'un colloque consacré à la communication dans l'espace régional et local qui établit une lecture pluridisciplinaire et comparative de ce thème très prisé des universitalres soucieux d'ancrage territorial. Nous nous contenterons là aussi de présenter les trois parties de ces actes qui regroupent une quinzaine d'articles brefs.

- Le passage de l'information à la communication,

- l'éclatement des espaces de communication,

- la régulation par l'Etat et l'intégration régionale et locale.

*L'évolution des systèmes de communica tion en Aquitaine - sous la direction d'André-Jean Tudesq. Centre d'étude des média de l'université de Bordeaux-III. Editions de la maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, 1991.

*La communication dans l'espace régional et local sous la direction d'Albert Mabileau et André-Jean Tudesq. Les cahiers du CERVL(IEP Bordeaux), Série actes de colloque n°3.1992